Une brève histoire des réseaux d'information de l'âge de pierre à l'IA

Cet essai remarquable nous permet de réaliser ce qu'ont été les réseaux d'information à travers l'histoire et en particulier le fait qu'ils ont toujours été des réseaux de coopération et de pouvoir des hommes, que les vérités qu'ils partagent soient réelles (des faits prouvés, comme les faits scientifiques) ou subjectives et partagées (par exemple la monnaie, la légitimité d'un chef, la république, les dieux, etc.).
Mais il montre aussi qu'aujourd'hui, quand les moyens d'échange de ces réseaux augmentent en puissance et en vitesse (internet, réseaux sociaux), quand des "vérités" subjectives toxiques s'y propagent sans entraves et, encore plus grave, que des "vérités" non humaines peuvent y être injectées à notre insu (algorithmes de sélection et IA essentiellement), sans la présence d'un contrôle humain "sage", le pouvoir associé peut se révéler destructif pour la société humaine. Ce sont là des processus difficiles à comprendre pour nous, qui avons parfois du mal à saisir la réalité de ces mécanismes non matériels. Et pourtant leur puissance conduit nos vies (pensons aux religions par exemple !) et notre intérêt est d'en prendre conscience.

 

Une première remarque porte sur ce que l'auteur appelle la version naïve des réseaux d'information. Celle-ci laisse à penser que la disposition croissante d'information conduit à la vérité qui devient ainsi universelle. Nous sommes obligés de constater que ce n'est pas le cas, car une information fausse ou qui touche des points de jouissance cachés peut être infiniment plus séduisante et même devenir une arme partagée contre la vérité.
Je profiterai de cette remarque pour proposer une réflexion sur le même sujet. En effet, le développement du savoir a laissé sur le quai l'immense majorité des hommes. Parmi ceux-ci, quelques-uns en souffrent, surtout s'ils n'ont rien réussi dans leur vie. Alors, s'ils peuvent rendre un peu de sens à celle-ci en se retrouvant (et c'est si facile aujourd'hui !) avec d'autres pour partager des idées simples, mais fausses, ils le font. Je pense aux antivax, aux partisans de la terre plate, aux racistes, aux radicaux de toutes croyances, etc. Qui ne tremble pas devant le pouvoir que cette union en réseau leur donne, quand bien même ils sont peu nombreux, et au mal qu'ils font ?

Le livre se compose de deux parties. La première est l'histoire des réseaux et de leur utilisation par les faiseurs de mythes et les bureaucrates. L'auteur fait au passage une fort judicieuse remarque en définissant l'histoire non comme l'étude du passé, mais celle du changement. Il pose aussi la question du pourquoi et du comment des mécanismes de correction, d'autocorrection, des informations véhiculées. Les mythes puissants l'acceptent peu ou pas (essayons de corriger la bible !), la science en fait sa marque de fabrique.
Un autre marqueur de traitement de l'information est son caractère peu ou très centralisé, caractérisant des sociétés aux structures politiques différentes. Les autocraties montantes, se sentant infaillibles, ont du mal à tolérer une information issue de sources dispersées, par exemple.

La seconde partie est une tentative pour comprendre ce qui vient, quand notre cerveau humain qui a jusqu'ici été le fournisseur et le contrôleur de l'information se voit disputer la place par des algorithmes capables de décisions extrêmement rapides et très difficiles à contrôler. Des exemples dommageables (Facebook et la Birmanie, santé, éducation, etc.)sont là pour inviter à la sagesse et à un certain contrôle, que certains ne manqueront pas de qualifier d'atteintes aux libertés quand leur mensonge est révélé pour ce qu'il est. C'est cette fausse liberté qu'impose en ce moment le régime américain sous Trump, tout en réduisant progressivement la liberté réelle par intimidation. De plus, le savoir en matière d'algorithmes et d'IA et de leur usage va encore accroitre le fossé entre ceux qui savent et les autres, accentuant le sentiment d'exclusion de nombreux citoyens, incapables ainsi d'en orienter l'avenir, en négation ultime du pouvoir démocratique.
Alors, deviendrons-nous les sujets d'algorithmes créés on ne sait comment et qu'on ne comprend pas, basés sur des corpus de données dont le choix est au mieux aléatoire et mal connu et au pire vicieux ? Et ce sont eux qui décideront quelles études font nos enfants ou si nous avons un cancer qui peut être traité ! L'auteur, pessimiste, donne néanmoins quelques pistes, mais pas vraiment de solutions. Y en a-t-il, d'ailleurs, sauf à mettre arbitrairement un frein aux réseaux. Les autocraties le font un peu et pour une mauvaise cause. Mais que peut faire la démocratie ?

Voici donc une étude plutôt sombre sur notre avenir sous emprise d'un système incompréhensible au citoyen moyen, d'un pouvoir considérable, mais qui surtout risque de se transférer vers un trou noir d'où sortira le fil de notre nouveau destin. Voici un beau sujet de réflexion politique !
Une remarque personnelle sur la forme : le livre est trop long et parfois répétitif, n'en facilitant pas la lecture. Dommage, car son contenu est fascinant.

Albin Michel (2024), 567 pages