Vivre s'accompagne toujours d'un lourd fardeau de questions, peu ou pas résolues, portant sur soi, sur sa place dans le monde et sur le monde lui-même. Cet essai propose de nous aider à faire quelques progrès dans cette investigation en exposant la méthode de l'auteur, dont la culture et l'expérience sont reconnues. Pour faire court, notons son penchant pour l'approche rationnelle et sa méfiance à l'égard des grands récits globalisants, comme les religions, les théories politiques salvatrices et autres, qui enferment plus qu'elles n'expliquent, alors que le monde subit en ce moment de profonds changements.
 
Parmi ceux-ci, il rappelle d'abord le changement technologique aux conséquences considérables, en particulier sur le travail. À l'évidence, la perspective de dictature digitale le préoccupe aussi, en raison du pouvoir donné aux algorithmes. Un "Meilleur des Mondes" se prépare-t-il, où la liberté s'évanouit en échange d'une douce servitude ? Et que penser des perspectives d'hommes "augmentés" dont la caste ne peut que s'opposer à celle de ceux qui ne le seront pas, par manque de ressources ?
 
Un autre changement majeur en perspective est le fait que les problèmes propres à notre époque (nucléaires, écologiques, technologiques, de migrations, finances, etc.) n'ont pas de solution locale, nationale, mais mondiale, s'ils en ont une. L'impuissance des états nationaux est d'ores et déjà patente. Toute crispation sur des solutions religieuses, ethniques, culturelles, civilisationnelles et donc régionales, paraît être un leurre, même si elle est souvent un refuge. Or, nous constatons chaque jour la fragilité des accords et règlements internationaux, violables à merci, que l'on soit Russe ou autre.
 
Il montre également combien nos approches affectives sont peu productives. Si par exemple on veut sauver des vies humaines, faut-il s'alarmer du terrorisme (25000morts par an) ou de la route (1,25 million) du diabète (3,5 millions), etc. ? C'est le terrorisme, spectaculaire, qui a envahi l'espace médiatique. Et tant pis pour les morts de la route ou du diabète. L'espoir lui semble donc plutôt se trouver du côté des méthodes rationnelles aux résultats universels et cumulatifs. De même, sa confiance le porte vers une éthique laïque dont il esquisse le contour.
 
Un rappel important est celui que ce que l'humanité a fait de grand l'a été en groupe, plus fort que la somme des individus qui le composent. Dans sa recherche de vérité et de justice, l'humain si limité a besoin de ses congénères. Particulièrement à notre époque où tant de "post-vérités" circulent. Alors se pose la question : comment vivre ensemble et profiter de cette richesse potentielle ?
 
Le livre se conclut par un long débat sur la résilience humaine et sur ses outils. Il met en garde contre les récits historiques ou religieux supposés donner un "sens" à nos actes et dont les conséquences ont été dramatiques au XXe siècle. Une certaine humilité est recommandée, face à leur fréquente stérilité parfois toxique. Mais quelle société pourrait vivre unie sans partager certains récits ?
Un autre débat intéressant est celui portant sur le "libre arbitre", dont il doute de l'existence, mais qui fonde le récit libéral qui coiffe la pensée collective de notre époque. Alors que penser du récit libéral ? Peut-être convient-il de ne pas confondre le mécanisme, très contraint, voire inexistant, de nos choix que nous nommons libre arbitre et son exercice qui est la liberté d'action, limitée à celle des autres et, elle, objet politique.
Mais c'est peut-être avant tout le rappel constant à la réalité, à son étude et à son respect, qui m'auront frappé à la lecture de ce livre. Vaccin contre les illusions et les fausses vérités ? Sans doute. La réalité n'est-elle pas le seul bien dont nous disposions absolument ?
 
Le livre de poche (2018), 570 pages