Avec un humour décapant, mais sans méchanceté, B&L nous dressent un portrait haut en couleur d'un ministre des Affaires Etrangères que chacun reconnaît pour être de Villepin. La valeur de cette BD est dans le caractère universel du portrait, qui pourrait aussi bien être celui de chefs d'entreprises, d'artistes, etc. dont l'ego gonflé à exploser est aussi leur planche de salut.
Le Quai d'Orsay, d'abord, nous est montré à l'époque où des événements graves ont lieu et où la France doit se décider. Quels faits sont avérés, quels scénarios sont possibles, quelles réactions auront certains pays, etc. ? Bien difficile de forger son opinion, surtout quand le temps presse. C'est là où le patron doit jouer son rôle, avoir de l'imagination, des idées et faire le moins de dégâts possibles. Un homme sage, pondéré, réfléchi n'y serait que le jouet des décisions des autres. Et notre Alexandre Taillard de Vorms (ATV) n'a ni le goût, ni l'intention de jouer le porte-serviette. Il fonce, imagine, propose, va voir, décide. Il est seul, quoi qu'on pense, car ce type de prise de position au feu ne se partage pas. Il doit donc être taillé sur mesure pour ce jeu là, avoir une confiance inébranlable en soi et, hors quelques intimes parfois un peu foireux, ne prendre l'avis de personne. C'est bien le portrait de ATV, toujours bien dessiné et souvent plein d'humour.
Les membres du cabinet, dans tout cela, n'ont qu'à suivre : refaire dix fois le même texte inepte d'un discours (un langage, pardon !), se précipiter de jour ou de nuit là où on les appelle, partir illico à l'autre bout de la terre, se faire traiter de tous les noms, sans vergogne, etc. Là aussi, il faut accepter ce rôle de fantassin sans gloire. Mais parfois un mot fait mouche, une idée passe et se révèle bonne, un mot gentil compense les injures de la veille. Et surtout, c'est être là où est l'action, participer, même modestement.
Oublions la mauvaise face de la médaille. Les relations humaines, par exemple, dans tout cela ? Pas terrible : maître et serviteur. L'ego du prince ATV, insupportable. Sa vanité, immense et pas toujours fondée. Son mépris latent des autres, un triste modèle. Ses idées géniales parfois dignes de l'Almanch Vermot, ses envolées philosophiques indignes de ma concierge, etc. Et pourtant sans un tel personnage la grisaille de l'impuissance bien pensante aurait pris le pouvoir et le monde se ferait sans nous. Oublions aussi, comme le fait la BD, les mauvaises décisions du personnage en d'autres circonstances.
Et ne croyons pas non plus que ce personnage d'exception soit réservé à la fonction décrite ici. Ni qu'il soit rare. Ni, encore une fois, qu'il soit condamnable. Il est au contraire utile dans des situations particulières, ce que bien souvent le bon peuple ignore et même refuse de comprendre. On ne dirige pas une entreprise dans l'eau tiède de la démocratie. Une bonne décision, qui marque un avantage, c'est celle que les autres n'auraient pas prise. C'est pourquoi ces personnages d'exception, fascinants et haïssables, excessifs et inépuisables, se retrouvent aux commandes d'affaires qui leur doivent leur succès dont j'ai bien connu certaines, étant moi-même dans le rôle du porte-plume.
Cette BD peut être prise au premier degré et faire rire. Elle montre aussi (cf. le tome 2) que c'est parfois ainsi que se forgent les succès et que, même si les institutions sont beaucoup, les hommes ont leur part.