rachmanova aube vie mort

 

L'Histoire essaye de comprendre la logique des événements, en laissant dans l'ombre la vie des êtres qui n'en sont pas les héros publics et reconnus. Ce merveilleux journal fait l'inverse, exactement, dans la tourmente des années 1916-1920, en Russie.

Alia est une jeune fille aisée de 17 ans intelligente et sensible qui écrit son journal. Elle sait bien que son pays va mal, que le Tsar est le jouet d'un fou et que Dieu, un peu débordé et peut être même disparu, n'accorde plus une bénédiction efficace à son pays, en guerre avec l'Allemagne.

Mais, et c'est sans doute la première leçon de ce livre, savoir ne signifie pas agir en conséquence. Ni elle, ni sa famille, ni ses amis ne prennent au sérieux la profonde détresse d'un peuple qui n'a plus rien à perdre, à l'exception d'un petit carré de "bourgeois" qui font vivre l'économie. La destruction physique de ces "bourgeois" apportera d'ailleurs chaos et famine. Pas plus ici qu'ailleurs les révolutionnaires ne comprennent que c'est la prospérité du peuple qui justifie un pouvoir et non la valeur des idées. La chute du mur de Berlin le rappellera avec fracas.

Ce lent glissement vers l'anarchie, la destruction progressive du squelette de cette société sont magnifiquement décrits dans ce journal. Les intellectuels (étudiants, professeurs, certains ingénieurs,etc.), sans doute très sensibles à la misère de certains, aux injustices de cette société et peu au fait de la gestion d'un pays, prennent leur coeur pour leur cerveau. Ils contribuent grandement à la débâcle, comme souvent ce fut le cas à travers le monde, en de semblables circonstances.

Dans cette anarchie, l'homme révèle alors ses tendances innées. Il n'est pas bon, Monsieur Rousseau ! AR va vivre l'horreur, en plus de la famine et de l'exil forcé : pillage, massacres d'hommes, femmes et enfants et en particulier autour d'elle, tant de la part des bandes de bandits prédateurs affamés que cette révolution a fait naître, mais aussi de la part de ces nouveaux "commissaires" sans contrôle, que le communisme a générés. On ne peut s'empêcher de penser à la fragilité de nos vernis sociaux, comme le montrera aussi l'Allemagne d'Hitler.

Au-delà des réflexions que ce journal inspire, il n'est pas excessif de dire qu'il nous émeut profondément. Le ton, si simple, la phrase, brève et qui ne cherche pas la compassion, l'accumulation de faits, d'injustices, de violences intolérables sans indignation, tout cela est admirable et nous laisse pantois.

Un très grand livre, qui devrait être réédité, que l'on trouve d'occasion.

 

Plon (1931) - 323 pages