ferry revolution amour

 

"Les seuls êtres pour lesquels nous serions prêts désormais, s'il le fallait absolument, à mettre en jeu notre existence sont d'abord et avant tout des humains, non plus des idéaux politiques ou religieux..." Loin de n'y voir qu'un naufrage des principes sacrés, l'auteur célèbre, au contraire, la naissance de la nouvelle source de valeurs en Occident, dont il montre l'ampleur qu'elle a déjà prise dans notre vie privée, sociale et politique.

Si l'on nomme "sacré" ce qui fonde ces valeurs et ce pour quoi l'on est prêt à tout sacrifier, même sa vie, force est de constater la justesse de cette observation : mariage d'inclination, sacralisation des enfants, droits de l'homme, principe de précaution, développement durable, aide humanitaire, ONG caritatives, répression des crimes contre l'humanité, etc. Tout cela, qui nous paraît aller de soi est très récent, historiquement. Y aurait-il donc alors dans l'amour (la compassion ?) un fondement pour une nouvelle morale et surtout (et c'est bien différent) matière à une nouvelle spiritualité laïque ? C'est la thèse de ce remarquable essai philosophique.

 

Ce livre est écrit dans le style coulant et agréable d'un dialogue avec le lecteur, peut-être pour lutter contre notre passivité et nous inciter à répondre. Il a, par ailleurs, une structure simple et claire qui nous fait progresser en évitant au mieux les redites et les retours. C'est assez rare en matière philosophique pour être dit. Il est structuré en trois parties essentielles :

D'abord la question "Où en sommes-nous aujourd'hui ?". Tout fout le camp, dirait-on. Après la Révolution, puis Nietzsche et Shopenhauer entre autres, puis Mai 68, nous avons (et ce n'est pas un regret) beaucoup "déconstruit", même si des marques subsistent. L'aristocratie, les religions et leurs communautarismes, les mythes révolutionnaires ou idéologiques et même une part de ce républicanisme aux prétentions messianiques universelles, qui a engendré le colonialisme. Sans ces valeurs, une marchandisation de tout a tenté de remplir le vide et a mondialisé même ce qui, parfois, n'aurait pas dû l'être, dépossédant les nations de leurs politiques nationales. Mais, nous dit LF, le mariage "d'amour" (je suis réservé sur ce mot-valise) a permis l'émergence, à la fois de cette déconstruction, mais surtout de la montée en puissance de la sacralisation du rapport entre les humains, ouvrant la voie à un nouvel universalisme, fondé sur l'affection et qui passe avant la raison et la loi.

Ensuite, LF dresse un remarquable tableau de l'évolution des systèmes moraux historiques occidentaux : aristocratie naturelle antique, monde chrétien, humanisme républicain, morale de la déconstruction, second humanisme de "l'amour" tel qu'il est en train de naître d'après LF.

LF tente là une reconstruction dans cette troisième partie. Ayant perdu l'espoir de salut que nous pouvions avoir dans les valeurs aujourd'hui en cours de liquidation, n'est-ce pas dans cet amour de l'humanité, à commencer par nos proches, mais avec une perspective universelle, que nous devons chercher la base d'un salut contemporain ? C'est le domaine de la philosophie par excellence, même si LF passe en revue les tentatives du passé pour en conclure qu'elles avaient en partie échoué, n'ayant jamais eu le sens marketing des religions, habiles à proposer aux consommateurs de foi des "vérités" invérifiables, mais qu'ils ont envie d'entendre.

Alors, serait-ce une ère nouvelle de la philosophie que cette phénoménologie de "l'amour" nous prépare ? Saurons-nous y adapter les apports des systèmes en cours de déconsidération et en particulier ceux du premier humanisme et de la république : la liberté, l'égalité, le droit, la raison, la science, qui devront donner un socle à cette irruption du sentiment affectif ? Et, ce sentiment affectif qui s'impose à nous de façon si puissante aujourd'hui et modèle nos actes, n'a-t-il pas aussi la transcendance, dans l'immanence et non plus dans le ciel, qui le qualifie pour une "spiritualité laïque" ?

Une vraie révolution, en effet.

 

Plon (2010) - 476 pages