Nous connaissons Andreï Kourkov pour son humour et son sens de l'absurde, particulièrement aiguisé quand il évoque le fourbi soviétique qu'il a vécu. Mais ses récits conservent toujours une grande charge de tendresse et d'humanité et donc d'espoir. C'est ce qui domine ici, dans ce récit d'un apiculteur du Donbass qui va voyager jusqu'en Crimée pour soustraire ses abeilles pendant un été à la "grisaille" des guerres en cours. Il rencontrera au cours de ce bref voyage tout ce qui anime, éclaire ou menace la vie des hommes, et retrouvera son village, heureux comme Ulysse, jusqu'à l'été prochain, sans doute. Un roman chaleureux et tendre de cet écrivain ukrainien talentueux.
 
Les abeilles sont un modèle d'organisation sociale qui a cette incroyable vertu qu'elles travaillent pour nous. Encore faut-il leur assurer un domicile convenable, leur ruche, et des conditions environnementales favorables, conditions qui changent avec les saisons. Le roman nous apprend (à moi en tout cas) beaucoup de détails sur ce travail paisible, mais exigeant de l'apiculteur beaucoup de rigueur. Et quand l'été arrive, les terres chaudes et fleuries de Crimée sous contrôle russe sont tout indiquées pour leur confort.
 
Notre apiculteur, Sergueïtch, ukrainien de la zone autoproclamée russe du Donbass, mais du côté ukrainien de la ligne de front vit dans un bourg où ne restent que deux habitants, survolés par les bombes, sans approvisionnement, sans électricité. Sa vie quotidienne est évidemment dangereuse et terriblement dure en dépit de l'amitié un peu contre nature qu'il renoue avec un ancien mauvais camarade de classe. Il va donc entreprendre ce voyage vers la Crimée pour le bien-être estival de ses abeilles que la guerre perturbe. Il rencontrera les joies d'un monde absurde, mais aussi l'amitié, au cours d'une aventure rocambolesque, dont le moindre souci n'est pas le passage des "checkpoints" ukrainiens ou russes !
 
Sans jamais surjouer le drame, AK promène un regard humain et compatissant sur les situations absurdes et surtout cruelles que la guerre et l'idéologie poutinienne créent sous les pas de tous, là même où la guerre n'a pas (encore ?) frappé. Arrestations arbitraires, parodies de justice, violence gratuite, racisme antitatar sont le quotidien des habitants de cette Crimée au charme évident, charme dont je témoigne à titre personnel pour y être allé il y a quelques années. Mais, au cœur de cette boue, AK conserve dans son récit un regard plein d'empathie pour la nature et surtout pour les hommes que croise le chemin de son apiculteur. En dépit des drames qu'il contient, ce récit fait chaud à l'âme.
 
Le roman se lit facilement et l'intrigue simple, mais forte nous entraîne. Un livre humain et chaleureux.
 
Liana Levi (2022), 399 pages