fernandez tolstoiOn connait l'écrivain, auteur de Guerre et Paix, mais on connait moins l'homme, terriblement contrasté. DF réussit à cerner, avec empathie, un personnage passé d'une aristocratie sans complexe à un idéalisme communisant presque mystique en fin de vie.

L'identité de Tolstoï évolue d'une manière exceptionnelle avec l'age, presque à rebours des évolutions classiques. Né riche, décomplexé, il brûle la vie. Mais, progressivement, il perçoit, puis rationalise à sa manière, l'injustice sociale dont il profite. A la fin de son existence il va quitter femme, enfants et avoirs, pour se racheter en se dessaisissant de tout, reniant même son oeuvre. Il meurt en 1910 et ne saura rien de la disgrâce que vont lui réserver les communistes.

Le livre essaye de nous faire partager les événements qui ont accompagné cette révolution intime. Il nous permet, à l'occasion, de comprendre que, sans son épouse, son sort eut été beaucoup moins favorable à la création littéraire, qui suppose que l'intendance fut assurée. Il ne lui en saura jamais gré.

Il nous permet aussi de comprendre la sensibilité sociale, souvent pertinente, de Tolstoï, mais en même temps les contradictions où sa position le place et dont il ne sortira pas. Je trouve, pour ma part, que ce livre montre admirablement la difficulté, que Tolstoï ne réglera pas, de prendre conscience, presque à n'en plus dormir, de l'intolérable injustice liée à sa condition aristocratique sans qu'une transition pacifique puisse être élaborée vers plus de justice. Les solutions seront dramatiques : pour Tolstoï une révolte insensée et inutile et pour la Russie une révolution sanglante et toxique qui a fait un nain d'un Etat, qui aurait pu jouer un rôle clé dans le monde. On peut rêver...

Même si Tolstoï n'est pas votre lecture courante, ce livre vous intéressera pour les questions qu'il aborde et par la qualité de son écriture. DF met également l'accent sur le fait que, si Tolstoï est admiré pour ses grands romans. l'histoire a tendance à oublier des oeuvres pourtant remarquables, comme Résurrection, La Mort d'Ivan Ilitch, ou Hadji Mourat.

Et si on relisait Anna Karenine, ou plutôt La Mort d'Ivan Ilitch ?

Grasset (2009) - 332 pages