Voici un plaidoyer bien étayé sur l'aveuglement où nous ont conduits la foi dans le monétarisme et l'illusion des marchés parfaits. C'est aussi un plaidoyer pour un keynésianisme actif , un rôle régulateur retrouvé des collectivités humaines et une responsabilisation accrue des acteurs financiers. Tout le contraire de ce qui a été fait et de ce qui continue à se faire sous nos yeux.
La génèse de la crise...
Malgré ses dernières pages, ce livre est sombre et son titre traduit bien ce qu'il montre. Même si la main invisible d'Adam Smith est une invitation à nous préoccuper, d'abord, de nos intérêts, cette main avait été en partie guidée par des règles, qui lui conféraient une certaine décence. L'illusion presque fanatique que le marché savait tout corriger de lui-même, qui est en arrière-plan de la plupart des actions économiques des ses dernières années, a conduit à un recul des Etats et des règles de bonne conduite. Et, comme souvent, sans gendarme, l'homme redevient, quand il en a le pouvoir, cupide et vorace.
...et ses conséquences.
La crise récente qui a transféré de la poche des Etats, c'est à dire vous et moi (non, nos enfants), presque sans contrepartie, des sommes inconcevables jusqu'ici aux banques et aux spéculateurs qu'elles avaient nourris, est une catastrophe économique. Ces sommes (ne serait-ce que le service de cette dette folle) n'iront pas s'investir dans l'économie. Elles sont déjà dépensées dans la destruction de valeur créée par la crise. Il reste les dettes publiques.
Le rôle des Etats et des marchés libres.
A cela s'ajoute l'affirmation, encore bien ancrée dans certains esprits, que les marchés libres sont le remède universel, quand des évidences prouvent le contraire. Le livre montre, par exemple, qu'aux USA dans les 25 dernières années, l'Etat n'a jamais cessé d'intervenir pour sauver des situations économiques provoquées par l'injection massive de liquidités à taux bas. Il rappelle aussi que les pays qui, dans le monde, ont fait les plus belles percées économiques, sont ceux où l'Etat est intervenu fortement comme en Asie, par exemple.
A quoi servent les banques ?
JS pose aussi clairement la question du rôle social des banques, qui est la réorientation efficace des flux dans l'économie. Il est souvent conditionné par une relation intime entre la banque et son prêteur. Tout cela a volé en éclat quand les banques, en titrisant les prêts, en les dispersant, en les plaçant parfois hors bilan, quand ce n'est pas en jouant au Casino avec, perdent tout contact avec le coeur économique de la société que sont les PME. Elles avouent même ne plus connaître la nature de leurs actifs.... ni surtout de leurs passifs. Et nul n'a montré que cette imagination financière obscure et mal documentée ait apporté quoi que ce soit à l'économie, sauf à leurs promoteurs privés, à travers les commissions demandées.
Quel modèle économique ?
Le modèle de croissance américain par la consommation (et par l'endettement facile) a donc craqué. Nulle percée technologique ne se profile pour le relancer. Comme le dit JS "le modèle sur lequel reposait la croissance américaine est épuisé, mais il n'y a rien à l'horizon pour le remplacer".
JS prône une aide à la consommation vers les moins fortunés, partant du constat que les pauvres dépensent et les riches épargnent. Or c'est l'inverse qui a eu lieu. L'absence de soutien aux prêts hypothécaires abusifs défaillants est une faute, par exemple. Il démonte aussi le mécanisme pervers des agences de notation qui auraient dû, si elles avaient été sincères et objectives, éclairer la liberté des choix. Ce fut l'inverse.
Il montre aussi, combien le président Obama, sensible aux mauvaises solutions de son prédécesseur a dû, dans l'urgence, se plier aux exigences des banques.
Un viol des principes du capitalisme.
Il me semble intéressant de relever dans les propos de JS, le rappel que la seule justification d'un système économique (et du pouvoir qui le soutient), en l'occurrence le capitalisme, est la prospérité qu'il apporte, et que les profits privés ne sont justifiés que s'ils résultent d'actions apportant un profit collectif, social. Ce n'est pas le cas du système financier spéculatif qui a conduit à la crise. Il le condamne donc sans nuance et montre que l'on ne fait pas grand chose pour s'en départir (p. 198, 199). Il montre aussi les effets pervers d'un système où la faillite devient impossible, ce qui a été le cas des trop grandes banques, où les actionnaires n'ont rien perdu. C'est un viol du capitalisme.
Il reste à faire !
JS pointe aussi, en passant, toutes les questions et problèmes que cette crise à révélés. Manque de transparence, contrôles démocratiques faibles (Fédéral Réserve, p. e), charge abusive de l'américain moyen et pauvre, innovation mal orientée, qualité de l'enseignent intermédiaire dégradée, étiolement de la classe moyenne, soutien des PME en baisse, Etats fragilisés par leur dette, fin annoncée du dollar monnaie de réserve, éducation économique trop influence par l'école de Chicago, oubli de l'intérêt général, etc.
Le livre va, au-delà des USA, droit au coeur des problèmes de notre époque, ceux du maintien d'une prospérité partagée dans les pays évolués. S'il l'avait fait en 200 pages au lieu de 500, il aurait été plus efficace. Il faut néanmoins le lire, comme une contribution importante à la compréhension de notre temps.