Ce portrait coloré d'un monstre sacré du Siècle des Lumières mérite tout à fait notre intérêt. Vivant, incisif, il nous entraîne à imaginer une époque où le scepticisme vis-à-vis du pouvoir ou de la religion était une prise de risque qui pouvait encore s'avérer mortelle.
Une société en mutation
Diderot a vécu, avec risque et avec succès, au coeur de la métamorphose d'une société où le respect des conventions sociales, religieuses ou politiques, était une question de survie du groupe, à une nouvelle société, où l'homme pouvait tenter de fonder sa vie sur l'usage personnel de sa liberté. Le 19e siècle rendra cette mutation possible en offrant, par la révolution industrielle et l'enrichissement qui en est résulté, les moyens d'une telle audace sociale, qui s'appellera la démocratie.
Diderot, pour moi, vivra à une époque voisine la même ambition de liberté que Mozart connaîtra. L'un et l'autre, confiants en leurs génies, que le monde leur avait reconnus, n'acceptent plus la servitude (dorée parfois) imposée par les "biens nés". Ils perçoivent que ces maîtres, produits du temps passé, perdent leur légitimité et ils les méprisent. L'oeuvre prime l'essence. Et les aristocrates français, qui n'ont pas compris que la légitimité du pouvoir est fondée sur la prospérité et la sécurité qu'il apporte, ont continué à consommer au lieu d'investir dans le monde nouveau. Ils en sont morts, quelque 50 ans plus tard.
La découverte de la liberté
Le Diderot de ce roman tente de concilier deux passions, celle d'apprendre et de savoir et celle de satisfaire son plaisir, ce qui, d'ailleurs, a failli le perdre. Plongé, sans ressource, dans le milieu des étudiants du Quartier Latin, il noue des amitiés parfois solides, parfois fugaces, et des amours expérimentales, voire acrobatiques, rondement menées. Il a quand même le sens de l'honneur quand sa maîtresse est enceinte... ou quand il croit qu'elle l'est. C'est aussi ça, la liberté. Elle donne des responsabilités !
Ses relations exécrables avec sa famille (sauf une soeur) lui vaudront quelques mésaventures, y compris une incarcération. Ses écrits lui en vaudront d'autres, mais son génie à la fois de sa pensée, mais aussi de son verbe lui vaudra en revanche une reconnaissance qui va aboutir à l 'Encyclopédie.
Un agréable voyage
C'est un vrai plaisir de se promener avec Diderot (et avec S. Ch.) dans ce siècle si proche et si lointain. Le pauvre Diderot, sans ressource, n'était pas harcelé de RSA, d'allocations, de formation, de droits divers encartés. Alors, il mène sa vie, seul, avec courage et assume ses choix difficiles. Et, si le Principe de Précaution avait existé, on aurait brûlé ce trublion dangereux pour l'environnement.
Un regret : les descriptions interminables, les répétitions de forme et de fond, qui ralentissent la lecture et réduisent notre intérêt. Je ne désavoue pas, au passage, la fiche du livre de S Ch sur F. Lippi, qui disait un peu la même chose. Dommage.
Excellente initiative, en revanche, d'avoir donné le texte du "Neveu de Rameau" !