calasso tiepolo

 

Ce livre, dont la lecture ne peut qu'être attentive, sera utile à ceux qui, comme moi, voient bien qu'il y a une vertu essentielle dans cette peinture, sans pour autant savoir exactement quoi. Et sans doute ne sauront-ils pas grand-chose de plus en le fermant, mais sentiront-ils un peu mieux l'éblouissant parfum de chair et de temps qui s'en dégage.

 

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Un peintre des Lumières

Giambattista Tiepolo (1696, 1770) est l'origine d'une lignée de peintres italiens célèbres. Son oeuvre fut dédaignée au 19e. siècle, car elle était trop libre, trop éclatante, trop heureuse, pour une pensée dominée par une doctrine chrétienne en involution, obsédée par sa morale mortifère, mais encore puissante. Le 20e. siècle lui rendra son rang.

La vie, ici et maintenant

RC montre bien que toute la peinture de Tiepolo glorifie la vie, non dans son idéal, mais dans ce qu'elle est. Tiepolo le fait avec des moyens exceptionnels, la couleur, le dessin, la lumière contrastée. Mais il se tait. RC dit même '... de toute sa vie, il n'avait jamais rien eu à dire' (p. 270). Ceux qui vont parfois visiter les temples subventionnés de l'art contemporain ne manqueront pas de mesurer le renversement : ne plus rien montrer, mais jacasser jusqu'au vide.

La chair et le Temps

Et pourtant, Tiepolo savait traiter ses commanditaires et leur donner la gloire que ses oeuvres attireraient sur eux. Mais, voyaient-ils tout ? L'exemple ci-dessus est un détail du plafond du Palais du Prince-évêque de Greiffenclau, à Wurtzbourg . Sujet mythologique: le dieu Main (le fleuve) et une Nymphe. L'éternité d'un fleuve représentée par un vieillard encore vert et l'épiphanie de l'instant fugitif que la beauté de la Nymphe exalte, unis dans un enlacement, comme le sont, dans la vie, les opposés, que nous avons à ajuster pour y glisser notre destin. Scène mythologique ? Oui, mon Prince ; mais si vous aviez été attentif, peut-être auriez-vous frémi devant l'audacieuse complémentarité des deux personnages : Le Main coulerait-il encore sans la main gauche de la Nymphe ? Allez savoir... Si Tiepolo n'avait rien à dire, il avait à montrer, en rire et en jouir, tel un Rabelais tardif. Et pourtant, le prince-évêque était redoutable : une sorcière de 73 ans sera décapitée à Wurtzbourg en 1749, quand Tiepolo y était.

Le théâtre de la Vie

Tiepolo apparait dans ce livre comme celui qui donne à voir et ne théorise pas. Il montre qu'une vie réussie allie le temps (le vieillard Chronos et sa faux) et l'instant fugace de l'Eros et de Venus. C'est un tacticien de la vie, au regard aigu et patient, qui ne dénoue pas dans un rêve idéaliste ce que la vie unit. Le bâton et le serpent, par exemple, comme on le voit dans les 'Scherzi', un des chapitres les plus réussis de ce livre.
Il nous invite au théâtre éblouissant du monde. A nous d'en goûter le plaisir, puis d'en faire ensuite notre miel. On y retourne ?

 

Gallimard (2009) - 328 pages