Encore un livre sur la crise financière et ses conséquences ? Oui et pourtant, il me semble que ce livre évite deux des principaux écueils : la banale trivialité du propos (les contrôles n'ont pas été suffisants, l'informatique a tout déréglé, etc.) ou l'indignation morale, qui caractérise en général l'ignorance des vrais problèmes, mais permet de ne rien dire avec belle conscience, ce qui flatte le peuple et entraine son adhésion.
Qu'est-ce qui s'est passé ?
Les trois premiers chapitres décrivent remarquablement la séquence des événements et des mécanismes en jeu au cours de cette crise, comme, en particulier, les prêts immobiliers "subprime" qui, pour pouvoir être remboursés supposaient une valeur croissante du bien acheté sur la durée du prêt. Quel esprit a pu imaginer cela possible ? Et pourtant, cette objection était presque irrecevable pendant la belle période de croissance de ce marché...
Cela me conduit d'ailleurs à une réflexion, toute personnelle sur l'après de cette crise. Il va certes y avoir une cascade de corrections aux mécanismes qui ont conduit là. Tant mieux, ce sera un progrès. Mais il y aura toujours, à un moment ou à un autre, une décision humaine dans l'incertain, voire dans le conflit entre un intérêt privé et l'intérêt public. Et à nouveau des décisions aussi folles que celles des prêts "subprime" et les cortèges de montages délirants que l'on connaît, apparaîtront à certains comme des choix hasardeux, mais tellement géniaux, qu'ils seront pris. L'expérience m'a montré que ce n'est pas la décision moyenne, fondée sur l'analyse et la raison qui fait les succès, mais qu'au contraire, c'est la décision paradoxale risquée, mais finalement (10 ans plus tard ?) géniale qui sélectionne les grandes réussites. Ainsi, encadrer par des règles bien balancées est sans doute utile, mais sans illusion : d'autres choix, à la limite de ces règles nouvelles, seront faits un jour, qui apparaîtront audacieux et conduiront à de nouveaux drames ou à de réelles percées. C'est la beauté et le tragique de notre condition et pour ceux qui jugent ce destin humain inacceptable, je propose deux solutions : le suicide, ou rejoindre Besancenot, ce qui n'est d'ailleurs pas très différent.
Les tendances lourdes du monde d'aujourd'hui.
La seconde partie du livre tente d'abord de déceler les tendances lourdes et les facteurs nouveaux qui vont peser sur le "monde d'après". Pour faire bref, notons :
- la perte de puissance des USA,
- la remontée en grâce de l'industrie par rapport aux services, en particulier financiers,
- l'irrésistible montée en puissance de certains pays en développement,
- le risque, déjà en cours de réalisation, de perte de contrôle des entreprises industrielles européennes.
- la vulnérabilité nouvelle sur la solvabilité des Etats, après le transfert massif de dette privée vers la dette publique.
Quelques axes de travail.
Alors que faut-il faire ? C'est certainement le plus difficile à déterminer. Le livre propose quelques pistes :
- restructurer la dette des ménages pour qu'ils restent solvables,
- relancer l'industrie et vite. Des prêts à 0% ? Des programmes lourds d'infrastructure ? Etc.
- pousser l'intégration européenne et surtout franco-allemande,
- mieux partager la valeur ajoutée en faveur du travail,
- protéger l'industrie sans faire de protectionnisme (contrôle de la délocalisation, golden Share, etc.) et protéger l'agriculture,
- re-réguler, le but étant de faire fonctionner les marchés et non de s'y substituer,
- protéger les matières premières de la spéculation,
- créer une agence européenne publique de notation,
- réglementer les "hedge funds" et les paradis fiscaux.
Enfin, et ainsi que tous les auteurs qui ont abordé le sujet, ils constatent le paradoxe insupportable de l'existence de marchés mondiaux sans autorité réelle à ce niveau. Faut-il alors fonder sur un FMI nouveau ? Pourquoi pas ? Mais cela suffira-t-il sans une autorité politique pour le diriger démocratiquement ? On peut en douter.
Je me permettrai, avant de conclure une seconde remarque personnelle, fondée sur une illusion qui s'exprime souvent, ici et là. On croit parfois que de telles crises vont changer nature de nos rapports à la production, à l'économie et peuvent faire advenir un monde meilleur. Je n'en crois pas un mot. Pour moi, elles ne font que changer les gagnants et les perdants, ceux qui voient des perspectives nouvelles et travaillent à les faire advenir, opposés à ceux qui rêvent de paix, d'amour entre les hommes, de partage, de silence et d'immobilité. J'ai la ferme conviction que ce sont ceux qui bougent qui gagneront et que le dernier mot restera à l'innovation et à la productivité. L'histoire n'a jamais fonctionné autrement ; encore faut-il l'avoir apprise.
Il n'y a sans doute pas de solution simple au problème posé par cette crise. Ce livre bref et dense ne prétend donc pas à eu proposer une. Mais il apporte une réflexion et un éclairage fondé sur une solide expérience économique et il la propose en termes simples et accessibles. Cela me parait remarquable.