ferrante nouveau nom

(L'amie prodigieuse II)

Même si nous avons là un très beau roman, le charme exceptionnel du premier tome de cette saga, dont c'est le tome 2, n'est plus tout à fait là. Ce qui était surprise, découverte devient un peu répétition dans la forme. Et pourtant ce long livre nous tient, avec son récit d'une ascension sociale par l'éducation d'une des deux amies, Elena. Mais cette victoire sur elle-même et sur ses origines ne sera pas sans conséquence. Une distance s'installe dans son univers affectif et elle ne peut s'éviter un jugement sur les comportements de sa famille et de ses amis. En contrepoint, Elena aura autant de mal à se sentir chez elle dans le monde où son intelligence et son travail la propulsent, monde très éloigné de celui de son enfance. Difficile solitude, que ce livre nous fait remarquablement partager. Sans oublier la peinture d'une âme déchirée, Lila, digne des grands maîtres.

 

Ce livre est donc, avant tout, une méditation romanesque sur la condition sociale et peut-être aussi sur l'appartenance à une communauté, ici celle des quartiers pauvres de Naples à l'origine. Cette réflexion avait été abordée dans le tome 1, mais c'est ici qu'elle s'épanouit vraiment. Cette condition, cette appartenance imposent des valeurs, des gestes, des accents, des modes de relation, familiale ou amicale, qui sont ceux du "clan". L'enfant qui a vécu là en a fait sa structure de pensée, son outil de compréhension du monde. L'ascension sociale, qui va lui offrir d'autres contacts avec d'autres "clans", ici celui des intellectuels, est une épreuve terrible : Elena comprend que sa vérité n'en était pas une, que tout ce qu'elle était la dénonce et l'écarte de la nouvelle communauté à laquelle elle peut prétendre : sa façon de tenir sa fourchette, son accent, son vêtement, etc. Et si cela n'a pas de rôle dans ses épreuves scolaires (et encore...), sa vie quotidienne, elle, est modelée par ce conflit qu'elle devra résoudre et surmonter.

L'incompréhension qui s'installe avec son ancien "clan" est aussi une rude épreuve pour elle. D'une violence qui la faisait soumise à ses parents, elle passe à une distance pétrie d'incompréhension avec sa mère en particulier. Une paroi de verre s'installe... Avec ses ami(e)s la situation est la même. Ils ne parlent plus, au propre et au figuré, le même langage. Et que dire de ses amours, dont on se demande s'ils sauront sortir du jeu sexuel et de son manque de poids affectif ? Veut-elle côtoyer un intellectuel, un homme riche, un bel amant, un homme de pouvoir, ou tout ensemble ? Et sera-t-elle à la hauteur  de l'un ou de l'autre ?

Une situation presque tragique est celle de son amie Lila, intelligente et belle, que le destin confine au mariage arrangé et à une vie aisée, mais de qualité médiocre, vie à laquelle elle ne se résoudra pas. Ce qui est au coeur du drame est que tout ce qu'elle entreprend réussit, sauf sa vie personnelle. Elle se sait capable d'études ; elle n'en fera pas. Elle est capable d'aimer ; elle hait son époux et ses amis proches. Elle a du caractère, mais pas de jugement ; elle se blesse par ses propres actes. Elle est comme enchaînée à sa classe sociale, alors que son oxygène est au-dessus et qu'elle étouffe. Magnifique personnage tragique, d'une grande densité.

En dépit des légères réserves faites, ce roman puissant et original séduit. Il sait aborder avec profondeur, mais sans emphase la question des rapports sociaux, question qui n'aura sans doute jamais de réponse adéquate...

Folio 6232 (2012) - 622 pages

Folio 6052 (2011) - 431 pages
Folio 6052 (2011) - 431 pages