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La peinture chinoise et plus encore la calligraphie vous déroutent ? Ou plus simplement vous intriguent ? Ce livre vous donnera des pistes, certes savantes, mais simples d'accès, pour pénétrer un univers qui le mérite et que des siècles, des millénaires même, ont poli. Et ne vous laissez pas abuser par un sous-titre un peu excessif.

La difficulté majeure que nous éprouvons est que nous avons une idée assez précise de ce qu'est une oeuvre d'art et que nos critères habituels échouent à l'analyse d'une oeuvre chinoise. A cela, tentons d'apporter quelques réponses, que suggère le livre.

 

sers escande resonance3L'oeuvre d'art occidentale a une existence propre, objective, indépendante de son auteur et surtout de son lecteur. Elle est un objet, une oeuvre finie. En Chine, le lien avec l'auteur n'est jamais coupé, car l'oeuvre nous propose la "résonance intérieure'' qu'a le monde (le Dao) avec l'artiste, dont la qualité humaine, sa "vertu'', est un élément de la valeur de son oeuvre. L'oeuvre chinoise se prolonge aussi vers l'aval. Une autre partie de sa valeur est liée à l'intérêt, à l'appréciation qu'elle aura suscitée chez des lecteurs de qualité. On comprend mieux, dans ce contexte le rôle des nombreux sceaux apposés sur les oeuvres par des lecteurs conquis.

Une autre propriété originale de l'oeuvre chinoise est que son auteur n'est pas un créateur. Il est un médium, mu par les lois du Dao qu'il ne fait que transcrire avec de l'encre et du papier. Il faut pour cela qu'il soit entré en résonance profonde, intime et harmonieuse avec ce Dao ; grâce à son expertise de peintre (qui n'est jamais une fin en soi), il saura transmettre cette expérience personnelle. On comprend bien ici l'écart considérable avec l'artiste occidental et son individualisme supposé créateur, souvent en conflit avec le monde, autre "création" concurrente qu'il a tendance à malmener.

On perçoit aussi combien le rapport à la "beauté'' est différent. Ce concept est presque hors propos dans la peinture chinoise, puisque, si beauté il devait y avoir, ce ne serait, tout au plus, que l'harmonie avec le Dao créée chez le lecteur par la résonance qui s'établit à la contemplation de l'oeuvre. Le lecteur entre dans l'oeuvre, s'y déplace en sympathie. Ce n'est plus un dialogue, plus ou moins intellectuel, mais une fusion sensuelle et d'esprit.

sers escande resonance2Autre préoccupation occidentale, ici hors de propos : l'oeuvre n'a pas, en Chine, à être une reproduction de la réalité ou à être abstraite, ou conceptuelle, ou autre chose de cette nature. Elle est conçue pour transmettre une expérience du Dao et elle fait éventuellement usage du réalisme comme d'un ingrédient pour servir cette fin. Mais bien des oeuvres, comme les kakis de Muqi (1300-1350), ici à gauche, sont très éloignées du réalisme.

Il va sans dire que l'artiste de valeur chinois traditionnel ne jaillit pas spontanément de son moi créateur, à l'occidentale. La pratique du trait ne peut advenir qu'à la suite d'une longue expérience du Dao, avec lequel l'artiste a peu à peu trouvé une union harmonieuse. Il a, de surcroît, mais de surcroît seulement, appris des techniques d'expression dont il se sert pour mieux transmettre cette expérience privée (et réussie) du Dao. Une sorte d'ascèse, en somme.

Pour rendre plus concrètes ces quelques propositions, je propose de regarder un instant l'oeuvre de Shitao (1641-1717) ici à droite, qui célèbre l'Empire Ming, à l'occasion du 60e. anniversaire de sa chute. Le monde est toujours là avec ses fleurs, ses arbres, son ciel, sa vie. Mais la profonde nostalgie de Shitao nous parvient par les déséquilibres perceptibles des objets et son tourment, par la fragilité des attaches de tous les objets et par la spirale qui y est dessinée et se ferme sur un objet noir.

Voici donc quelques-uns (il y en a bien d'autres) des éléments de compréhension que ce livre propose et qui sont, pour l'essentiel, dus à la prose de YE. La tentative de PS (qui justifie le sous-titre) de rapprocher la démarche de la "création" artistique occidentale contemporaine de celle de l'artiste chinois ne n'a pas convaincu. Il y a des analogies, certes, mais les écarts subsistent, béants. Quant à sa tentative, souvent réitérée, de rapprocher un dieu fort chrétien et transcendant du Dao chinois, elle est, pour moi, superficielle et pour tout dire, inutile.

Un livre, en dépit de cela, remarquable et qui aide considérablement à mieux comprendre et peut être à aimer un univers culturel éloigné du nôtre.

 

Klingsieck (2003) - 225 pages