Sôseki (1867 - 1916) est un de mes auteurs japonais favoris, et en particulier son superbe roman"Je suis un chat (1905)" qui, mieux que toute explication, vous fera découvrir ce Japon en rupture avec sa tradition, déchiré par la réforme Meiji.
Botchan (1906) est un roman dont notre ministre de l'éducation nationale aurait du rendre la lecture obligatoire avant toute candidature sérieuse ! Il s'agit en effet d'un jeune diplômé (presque par hasard) qui prend en mains son premier poste en basse province. Que les élèves soient peu motivés, chahuteurs, provocateurs et bagarreurs, passe. Ce n'est pas une découverte, même si ce n'est pas toujours simple à avaler. Mais que le milieu professoral soit un panier de crabes, arrogants, menteurs, jouisseurs et hypocrites est moins souvent enseigné dans les IUFM de France et de Navarre. Au fait, n'est-ce pas un risque inhérent à toute congrégation humaine et dont il convient de bien prendre la mesure ?
Notre jeune Botchan en prend pour son grade. Il n'est pas un ange non plus : impulsif, risque-tout, irréfléchi et fonceur. Les crabes, surtout les vieux, savent prendre en main ce genre de citoyen et lui faire commettre toutes les erreurs possibles. Il n'en rate pas une et finit en quelques mois technicien dans les tramways de Tokyo, moins riche en Yens, mais sûrement plus mûr !
Tout cela n'aurait rien d'extraordinaire sans le style brillant de Sôseki. Vif, drôle sans jouer au comique, direct et percutant, c'est un moment de délectation que l'on passe avec lui. Et tout au long de cette aventure, en douceur, le vieux Japon nous accompagne, fasciné par la perspective démesurée d'égaler le modèle occidental. La victoire contre les Russes en 1905 ouvrait tous les espoirs et justifiait les sacrifices de ce peuple passé en 50 ans d'un pays agricole pauvre au champion qu'il est d'ailleurs resté de l'efficacité industrielle. Cela permet peut-être de comprendre ce que ce bouleversement a pu représenter de souffrance et explique sans doute un peu les dérives qui ont suivi.
Et quelle modernité dans ce portrait d'un jeune, assez inculte, plutôt arrogant, malhabile dans sa conduite humaine mais capable d'affection... et attachant pour ces raisons mêmes ! Que l'espèce humaine soit une, Monsieur Sôseki (qui vaut bien 1000 yens !) nous en a fait là une magnifique démonstration, il y a 100 ans...