recassens beauveau
 
Ce livre, foisonnant d'anecdotes, est la vision des auteurs sur les rapports de pouvoir entre les élus et les administrations des polices et du renseignement en France. Il est surtout, pour eux, l'occasion de démonter la logique, si elle existe et pour ce qu'ils en comprennent, du fonctionnement de ces administrations, plus en concurrence qu'en symbiose et champ clos d'ambitions personnelles. Sa conclusion n'est pas optimiste, qui rappelle entre autres, qu'augmenter les effectifs est facile, voire démagogique, mais que les faire agir efficacement est autre chose, beaucoup plus difficile, car ils sont empêtrés dans les fils de l'histoire et des traditions. 
 
Précisons tout de suite que sa lecture suppose un effort, sauf à être un familier de ces milieux. La règle est l'acronyme pour désigner la trentaine d'administrations concernées. Le dictionnaire proposé en fin du livre est indispensable pour ne pas s'y perdre. On y apprend de plus que rien n'est vraiment stable : on regroupe, on divise, on déplace tous ces services au gré des dirigeants du moment et au fil des hommes mis en place pour leur fidélité et leur compétence à informer leurs "parrains". Le mot peut sembler excessif, mais c'est une atmosphère mafieuse qui se dégage de ces guerres des chefs. On ne tue pas, ou si peu, mais on remplit les placards de collaborateurs à la couleur passée de mode pour y faire place aux nouveaux fidèles. L'intérêt général ? Oui, il serait bon d'en parler...
 
Ce qui frappe avant tout et que sans doute les auteurs ont souhaité stigmatiser particulièrement est le foisonnement des services susceptibles d'intervenir dans une opération précise. Services qui ne communiquent pas ou peu entre eux et vont même jusqu'à se poser des leurres pour conserver la maîtrise de leur dossier. Est-ce leur faute ou celle d'une désorganisation insigne ? Leurs patrons sont l'Intérieur, l'Armée, les Finances, le Premier Ministre, l’Élysée, etc., qui ont tous le souci de leurs prérogatives, au même titre que les Directeurs, Secrétaires, Chefs de Cabinets et autres egos bien dimensionnés. Le livre insiste sur cet aspect avec des faits rapportés éclairants. Coups tordus et vengeances sont quotidiens et rappellent certaines entreprises mal dirigées ou au patron faible et sans vision. Quant aux rapports avec la Justice... Sans oublier le délabrement des infrastructures qui donnent une image bien médiocre de l'importance accordée à ces administrations qui sont pourtant un des outils majeurs de la résilience de la société face aux menaces actuelles.
 
Si ce livre dénonce les errements sans doute réels de ces fonctions de police et de renseignement et de leurs rapports aux pouvoirs politiques, il met mal à l'aise pour ce qu'il dit mais aussi pour ce qu'il ne dit pas. Je ne peux pas et ne veux pas croire qu'il résume la situation réelle de ces administrations. Il se veut spectaculaire, aligne les scoops et fait son beurre des pires coups tordus. L'image de ces patrons de services finit par sembler nauséabonde. Certains, peut-être ; tous, sûrement pas. On ne peut pas se contenter de l'opprobre. Et pourtant l'image explosée et pourrie qu'il véhicule est ce qui restera de sa lecture. Qui  gagne à ce jeu de massacre ?