Cette biographie de Jean-François Revel (1924-2006) montre combien il lui fut difficile de garder une pensée libre, attachée aux faits plus qu'à leur interprétation. Elle montre aussi combien violent peut être le rejet de cette pensée libre par ceux qui ont choisi d'assujettir la leur à une foi (marxisme, nazisme, psychanalyse, entre autres, au temps de JFR) même s'ils savent, sans vouloir l'admettre, qu'elle a la fragilité des constructions intellectuelles et qu'elle est souvent fondée sur des espoirs irrationnels et l'illusion de notre toute-puissance. Beaucoup de ces idéologies finissent d'ailleurs dans les égouts de l'histoire, encombrées de leurs méfaits.
JFR est décrit comme un héritier de l'époque des "Lumières", un homme qui veut que chaque affirmation responsable se fonde sur des faits et qui, en particulier en politique, n'admet pas les mensonges et la langue de bois pour justifier l'innommable sécrété par les idéologies totalitaires.
Son anticommunisme lui vaudra la haine du milieu universitaire et un rude ostracisme de l'intelligentsia, encore abrutis d'idolâtrie promarxiste. La France aura, dans ce domaine, été encore moins clairvoyante que les autres pays d'Europe en dépit d'une abondante littérature qui aurait dû perturber la sérénité de nos intellectuels. Ils y ont perdu leur honneur, et JFR ne disait pas autre chose. C'est bien entendu dur à entendre !
Cette foi qui étouffait la pensée a-t-elle, de nos jours, fait place à un peu plus de recul ? Rien ne permet de l'espérer lorsqu'on lit les productions contemporaines de nos penseurs : les lieux marécageux de l'islamisme, de l'écologie, de l'altermondialisme ou même d'un certain humanitarisme sont riches de nouveaux goulags en puissance, à la mesure de l'oreille qu'on leur prête. Ces nouveaux "impératifs catégoriques" tentent à leur tour de nous faire adhérer à leurs transcendance. Comme leurs ancêtres, ils ont en eux des attendus qui peuvent se comprendre. Ce qui, en revanche, devient injustifiable est d'en faire une foi et d'y forcer la réalité. Les hommes nouveaux issus de ces illusions de la foi seront à nouveau des esclaves ... ou des cadavres.
JFR avait d'autres cordes à son arc, que ce livre révèle et permet de mieux intégrer à un personnage complexe. Il a été journaliste (directeur de l'Express entre autres), amateur d'art, et a aimé la vie sous ses formes. Quelqu'un de normal, en somme !
Il sut aussi montrer une fidélité profonde à ses amitiés. On pese à Cioran, Breton ou Aron, par exemple.
Il aurait voulu être philosophe. La profession, engluée dans un formalisme verbeux et presque irréel, l'a dégoûté. Il en fut un néanmoins, car, comme dit cette biographie "il s'est efforcé à travers ses livres de répondre à deux questions posées par les Anciens : Comment dois-je vivre ? Comment la Cité doit-elle être gouvernée ?" Sagesse peut-être, plus que philosophie au sens moderne.
Mais il l'est surtout par la question qui est au détour de chaque page de sa production : comment des hommes normaux, et en particulier ceux qui ont fait profession de penser, peuvent-ils se placer eux-mêmes dans cet état de servitude à des idées fragiles, loin du réel et tentant même si souvent de le plier à leurs rêves ? Et comment en reviennent-ils si rarement d'eux-mêmes, quand bien même les faits seraient là ? Etienne de la Boétie se posait déjà la même question vers 1550 dans dans son "Discours de la Servitude Volontaire" ....