xingjian homme seul
 
GX né en 1940 en Chine, vit en France depuis 1988 et tente avec ce roman autobiographique de faire son deuil de l'époque terrible qu'il a vécue sous Mao. Peut-on revenir de l'enfer, même s'il est parfois traversé d'éclaircies ?
Il ne s'agit plus ici de confort, mais de survie. Autour de lui, ceux qui il connaît tombent ou déchoient. Il en retrouvera certains, mais en quel état !
Le régime qui tentait de se mettre en place avait en effet décidé de se construire sur un "homme nouveau". Pour révéler, une fois encore, que cet homme nouveau n'en était plus un lorsqu'il était dépouillé de sa liberté, de sa sphère privée. Un esclave, même volontaire, perd ses attributs humains. C'est ce qu'a d'ailleurs admirablement compris le régime qui a suivi en Chine, qui n'a en rien libéré la sphère publique, mais a rendu son existence et son pouvoir à la sphère privée, en particulier dans le domaine économique, gage de la prospérité de l'état.
Tout cela, GX le décrit à sa manière, en le romançant, certes, mais en le faisant peu à peu sentir au lecteur. Le cheminement de la tyrannie est fort bien montré :

D'abord le mensonge. Pour survivre, d'abord mentir. Mais on ne se construit pas sur le mensonge éternellement. Il est dur de vivre en mentant. Peu à peu on cesse de penser, aliénant soi-même la toute dernière liberté, celle de son esprit, de son jugement. La servilité s'installe.

Et pour faire bonne mesure, pour étouffer tout germe de pensée qui pourrait encore lutter, l'état nourrit la tête de ses sujets de phrases creuses, convenues, vides, mais politiquement correctes ! la pensée - Mao.

Ensuite, la fuite dans la solitude car nul, autour de soi, ne peut être un ami sûr. Un instant de détente, un mot de trop, rapporté sans son contexte et c'est l'emprisonnement, le camp, la mort. Un dossier personnel (dont on ne peut pas prendre connaissance) vous suivra, indélébile. L'arbitraire des petits et des grands chefs joue à être la loi.

L'homme seul dont GX nous donne ici le livre, va subir ces épreuves et tenter d'y survivre. Il s'efforcera de rester soi-même en saisissant les rares instants où il peut encore exercer ce qui lui est laissé d'humanité : la pensée libre, les femmes, l'écriture, la fuite. Isolé il survit par la jouissance de l'instant et par la gratitude qu'il éprouve de vivre encore et d'apprécier la beauté du monde. Il fuira dès qu'il le pourra ; le poids du passé ne lui permettra plus de vivre en paix dans son pays.

Sur la forme, une petite réserve : le roman gêne un peu parfois par sa volonté de séduire, par son abus de littérature et en devient parfois un peu délayé.

Mais, sur le fond, montrer que sans la libre disposition de sa sphère privée, un homme cesse d'en être un, mérite d'être rappelé. C'est ce que GX fait ici à la recherche inlassable de ses racines et de sa dignité, et il doit en être remercié.
 
Editions l'aube (2000) - 486 pages