"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
LF, né à Munich en 1884, a été une figure des lettres allemandes des années 20. Chassé par Hitler, emprisonné par la France où il s'était installé en 1933, c'est finalement aux USA qu'il trouvera refuge. Il y meurt en 1958. On trouvera par ailleurs mes notes sur un autre remarquable livre de LF, La guerre de Judée .
Le présent roman est souvent connu par le film de propagande antisémite fait par les nazis et qui porte le même titre. Il est indispensable de préciser que le roman a été totalement distordu par les nazis pour leurs fins, même s'il est vrai que LF ne fait pas toujours un portrait attirant de son "juif de cour".
Car il est historiquement exact que les cours allemandes du 18ème siècle employaient à leur services des juifs commes hommes d'affaires et surtout intermédiaires financiers à la fois avec les autres cours, mais surtout avec les autres états. Ils étaient un peu ce que représente aujourd'hui l'Europe économique pour les petits états européens, une ouverture, un souffle plus large. C'est au fond cette double identité du monde juif, nationale et internationale qui en a fait sa richesse et son caractère exceptionnel, unique.
Le roman est la saga haute en couleurs d'un homme, juif par sa mère mais au père chrétien, qui va réussir une ascension fulgurante et devenir de fait le "régent" du Wurtemberg dont le duc en titre est un jouisseur incompétent. Süss deviendra ivre de ce pouvoir et finira martyre consentant, touché par la grâce d'une religion qui n'est qu'à demi la sienne et qui n'a en rien conduit sa vie. C'est à mon avis le point faible du livre.
En revanche le tableau de cette société est passionnant et nous fait toucher du doigt les conflits politiques et religieux qui traversent ces états allemands, petits et divisés, encore ravagés par les séquelles de leur guerres de religions qui n'étaint souvent que des prétextes politiques. La guerre de trente ans n'est pas très loin. Le portrait de ces cours et de leurs dirigeants, bien documenté, est de grande qualité. On y voit bien que la démocratie n'a rien de naturel. Le Wurtemberg avait pourtant essayé, un peu à l'image d'Amsterdam ou de Venise, de remplacer le pouvoir d'un homme par celui d'une assemblée. Sans grand succès.
Mais c'est surtout le portrait sans complaisance de Süss qui impressionne. LF veut-il nous faire comprendre que l'arrogance de cet homme est une des causes de l'antisémitisme ? Peut-être. Il montre en tous cas jusqu'à la nausée ce qu'était un racisme quotidien, bon enfant si l'on peut dire, qui ne placait qu'à peine un juif parmi les êtres humains. Ce que les grands totalitarismes du 20ème siècle ont soigneusement entretenu..
Un excellent livre.
L. F. , fondateur du "Spiegel" en 1908, a connu la persécution antisémite nazie en 1933, suivie de peu, en 1940, par la persécution antisémite française. Il s'échappera du camp français des "Mille" pour finir sa vie aux USA.
Ce livre de 1932 décrit la vie complexe de Flavius Josèphe, futur historiographe de l'empereur romain Vespasien (1er siècle de notre ère), mais auparavant brillant prêtre de la religion judaïque à Jérusalem.
Excellent roman historique, magnifiquement écrit, ce récit apporte beaucoup plus. Il nous fait vivre la tentative parfois désespérée d'un homme intelligent (trop ?) et ouvert, de concilier deux univers, le monde juif et le monde romain. L'un et l'autre le fascinent ; sa tête est romaine et son cœur juif. Il raisonne comme un juriste romain qu'il est un peu, il souffre et ressent comme un homme de Judée, souvent irrationnel, voire fanatique. Il est l'un et l'autre, convaincu que ces deux aspects de l'homme ne doivent pas se combattre mais s'enrichir mutuellement pour former un être plein.
Irénisme noble, mais contestable. L'histoire détruit toujours à terme plus ou moins long les temples des fanatiques, car leur vérités les aveuglent. Ils ne s'adaptent pas au monde, ils cherchent l'inverse : adapter le monde à leur vision et ils en meurent. L'homme raisonnable peut comprendre et parfois tolérer le fondamentaliste, alors que l'inverse ne se peut pas ; l'eau et le feu se mélangent mal. De quelles offrandes de sang et de larmes se payent la résolution de ces drames !
Livre très agréable et facile à lire, enrichissant au plus haut point.