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Ce livre est paru en 1912, mais Romain Rolland (1866-1944) avait commencé son écriture en 1901. C'est donc une oeuvre de longue haleine qui aura compté pour l'auteur, où il a voulu, à travers un roman, communiquer sa foi (il utilisera lui même ce terme dans sa préface de 1931) dans la fraternité humaine. La guerre de 1914 allait être une épreuve bien lourde, pour lui particulièrement, en raison de son amour de la culture allemande. Il fallait à cette époque une certaine force de caractère pour l'affirmer !

Son héros n'a pas pour mission unique de nous faire connaître et comprendre cette foi de RR, mais aussi de la propager, par son exemple romancé. C'est un livre militant. RR a donc besoin d'un homme, Jean-Christophe, qui dispose d'abord d'une indépendance intellectuelle et morale complète par rapport aux 'tendances' d'une époque honnie. Mais ce héros doit aussi nous convaincre, nous entraîner par son exemple vers ce retour espéré à l'unité profonde des hommes. Il doit 'parler droit' , convaincre, agir en modèle porteur d'espoir. RR flirtera d'ailleurs par la suite avec les révolutions qui agiteront l'Europe.

Mais ce héros qui incarne un espoir est aussi un héros romantique où l'image de Beethoven apparaît en filigrane. La musique, qui modèle la statue intérieure de Jean-Christophe n'y est pas pour rien, cette musique qui tint une part si importante dans la vie de RR. Ce héros est un jeune allemand qui découvrira la vie et la France et peu à peu, tissera le grand lien d'humanité qu'espère et appelle RR. Le roman prendra d'ailleurs la structure des 'Bildungs Roman' (romans de formation) illustrés par le 'Werther' de Goethe ou un homme entre progressivement dans la vie et en passe les épreuves, les initiations. Jean-Christophe, entier et parfois même sectaire, se frottera avec rudesse aux bouillonnements que sa conduite sans souplesse entraîne. Il agit en révélateur de ce que RR veut montrer, quitte à en faire parfois un peu trop.

J'ai été particulièrement sensible d'abord à l'ouverture que ce roman nous donne sur l'Allemagne que nous connaissons souvent si mal ou si peu. C'est sans doute un des aspects passionnants de ce livre. Ce n'était bien entendu pas son objet premier, l'Allemagne étant là comme un des deux pôles humains, aussi opposé que possible a l'autre pôle, le français. Or ces pôles sont liés, unis, par une humanité qui leur est commune et supérieure. N'est-ce pas d'ailleurs ce que l'Europe a cherché et cherche à accomplir, même si elle semble aujourd'hui enlisée dans des trivialités qui divisent ?

Un autre élément de ce roman m'apparaît comme original et riche. C'est le réalisme qu'affiche, envers et contre tout, RR dans les situations décrites, lui dont le coeur est essentiellement idéaliste. Un chagrin peut ne pas conduire aux extrêmes, un musicien peut avoir du talent sans être un génie, un amour peut être sincère sans être éternel, etc. Le temps passe qui recoud, rattrape, recommence, relie. Et une haine, comme celle des nations allemande et française peut être surmontée si la raison et l'espoir se marient pour enfanter l'humanité. Il aura fallu deux guerres pour que cela soit, peut-être, compris.

Un beau roman d'espoir et de foi qui n'a guère vieilli, où, en dépit de la foi qu'affirme RR, c'est plutôt sa sagesse qui l'emporte et convainc.
 
Editions Le livre de poche (1961) 734/735 - 500 pages