routier ange

 

Ce livre a le mérite de nous donner à réfléchir sur la carrière singulière de Bernard Arnault, dont le parcours a été spectaculaire, et comme tel, sujet à commentaires.

Il semble avoir reçu un accueil moyen, sans doute en partie à cause de la difficulté que certains lecteurs auront à comprendre les montages ou les enjeux financiers et de pouvoir décrits ici. Si ces montages étaient simples, tout le monde l'aurait fait...

 

De plus, et bien que BA ne soit en rien un ange, même exterminateur, la charge portée contre lui est parfois excessive. Qui pourrait croire que l'on fait le premier pôle mondial du luxe avec de bonnes manières, la main sur le coeur et le coeur sur la main ? Ayant vécu de très près la fulgurante montée d'un groupe devenu, lui aussi, un des premiers du monde dans son secteur, je témoignerai que les décisions de développement et d'acquisitions se prennent vite, souvent brutalement, que la ruse est la règle et qu'il y a toujours des perdants qui, humainement, ne l'avaient pas mérité. C'est une forme de guerre, ici économique, et le terrain est jonché de cadavres après la bataille. La loi est respectée jusqu'à la limite et il n'est pas forcément mauvais que l'adversaire puisse craindre qu'elle soit éventuellement outrepassée à son détriment. Car en fait tout finit par des arrangements entre adversaires, et toute solution a un prix. Je suis toujours amusé d'entendre parler d'opacité financière ou autres fariboles. Oui il faut être opaque, oui, il faut se protéger du (des !) fiscs dont l'objectif n'est évidemment pas de voir les projets réussir. Il est naïf de penser autrement, naïf de croire que l'on puisse dans ce domaine agir sur la place publique.

Ce qui fait pour moi l'intérêt du livre est la description, me semble-t-il juste, de la montée de la solitude de l'homme qui réussit. Gagner encore et encore isole, car semble prévoir, pour le futur, que ce qui s'était montré vrai dans le passé, avoir raison avant les autres, le restera toujours. Celui qui a tant réussi sait qu'il a un talent, qui en douterait, mais donne à ce talent une trop grande portée. Tout change si vite... Et cette solitude conduit à ne plus écouter les autres, à s'entourer d'exécutants passifs. Rester ouvert et accepter la contradiction est un privilège rare pour ce format d'entrepreneurs, mais cela aussi existe. Ce n'est pas le profil de BA.

Que l'on reproche à BA ses erreurs sur le marché d'internet dans les années folles, soit. Qu'il soit devenu boulimique, soit. Il n'empêche qu'il est encore là et qu'il a eu souvent le nez creux !

Pour ceux que ce monde des acquisitions intéresse, c'est un livre à lire. Pour les autres, non.

Editions Albin Michel (2003)