Ce livre écrit en 1976 rassemble des textes de Hermann Hesse ayant en commun un sujet essentiel pour l'auteur, la musique. Presque tout est dit sur l'approche de HH dans cette phrase :
"C'est le secret de la musique qu'elle n'exige que notre âme, mais qu'elle la veuille tout entière. Elle ne demande ni intelligence, ni culture ; par delà toutes les langues, toutes les sciences, sous des formes ambivalentes mais évidentes en dernière analyse, elle représente l'âme de l'homme."
Rejet évident de la musique-savoir, confiance (excessive ?) dans l'instinct de l'homme brut. Y croit-il lui même, lui si cultivé, si éduqué par sa passion du concert ? HH il est vrai, approche la musique par le cœur, non par la tête car justement il sait qu'elle exprime ce que les mots cessent de dire. Les phrases qu'il emploie sont souvent des cris d'amour, d'extase presque : "Que serait notre vie sans la musique...". Et son livre "Le jeu des perles de verre", est une longue méditation sur le pouvoir de la musique de représenter l'ordre caché du monde.
Il touche juste aussi quand il dit : "Comme la danse et comme tout exercice artistique, la musique a été dans les temps préhistoriques un art magique, un des vieux et légitimes moyens de la magie" (p. 88). Tenter de faire sentir ce qui ne s'exprime pas par des paroles pour, peut-être, agir sur lui...
Je ne souscris cependant pas à sa (fausse ?) naïveté de penser que tout être dispose de tous les dons nécessaires à l'appréciation de la musique, ni que cette appréciation puisse se faire de façon pleine, d'instinct. La musique est au contraire, comme beaucoup d'activités humaines mais plus que d'autres, une discipline où le travail de culture paye. Écouter cent fois, revenir, comparer, lire, prendre un avis et réécouter. Un goût musical se forme par l'expérience et s'affine. La culture est alors une ouverture et un moyen de bâtir des correspondances et nul ne le sait mieux que HH. Sans doute le souffle romantique est-il encore trop fort ? Ou l'influence dionysienne de Nietzsche excessive ? On croit rêver en entendant HH, si intellectuel, récuser l'apport de l'intelligence dans notre préhension des composants du monde, ici de la musique.
Qu'il confine aussi l'interprète à "...la reproduction la plus exacte et la plus complète possible de ce qui est écrit dans la partition" (p. 105) est une vieille manie héritée du 19ème siècle et heureusement oubliée de nos jours, après la redécouverte de la musique des 17 et 18ème siècles où, à l'évidence, la part de l'interprète est essentielle.
Il n'en reste pas moins que la sensibilité de HH est celle d'un véritable et profond amateur et qu'il nous guide dans ses écrits à travers cet univers si beau et si fort de la musique, qu'il nous convie à pénétrer avec notre cœur. Ce qui ne l'empêche pas aussi de juger quand, par exemple, il rejette Wagner en nous rappelant en 1934 quelques textes chinois "...plus la musique devient bruyante, plus les hommes deviennent mélancoliques, plus le pays est en danger..." (p.87). Prémonitoire ?