Dans ce recueil de quatre nouvelles, Hermann Hesse (HH) va illustrer ses thèmes (ses démons ?) habituels. J'ai eu, au cours de cette lecture, une prédilection pour la troisième nouvelle, Klein et Wagner, qui met particulièrement en scène deux thèmes forts, la mort et le temps, à travers une intrigue solide. Les autres nouvelles ont aussi leur charme, même si parfois l'abondance introspective semble, pour moi au moins, un peu excessive.
 
Le temps, d'abord. On le connaît tous comme un élément qui, sans pitié ni faiblesse, encadre notre vie et en assure l'évolution jusqu'à la fin. Donnée triviale de notre existence qui attribue au temps une essence enveloppante, supérieure, immuable, celle d'un dieu qui, un jour, dévore ses enfants. Cette apparence d'absolu a pris fin avec la progression de notre savoir, pour expliquer un peu mieux le monde (la relativité). Et nous voici avec autant de temps que de points dans l'espace ! 
 
Ceci, justement, s'accorde bien avec la vision de HH. Pour lui, contre lui devrais-je dire, le temps est un couteau, voire une hache, qui divise les actes des hommes, qui éparpille leurs actions. L'avant est dissocié de l'après ; nous ne vivons que dans un monde constitué de débris que notre pensée a bien du mal à rassembler. Et cela est une cause de notre souffrance dans la vie. Car ainsi, nous pouvons être un jour ce que nous n'étions pas, aimer ce que nous haïssions. Nous en ressentons un déchirement de notre moi, déchirement dont la douleur peut devenir insupportable et pousser à désirer y mettre un terme par le suicide.
 
Il existe quelques remèdes à cette pénible situation, aux yeux de HH, même s'ils n'ont qu'une efficacité passagère. Certains s'en contenteront ! La contemplation méditative, par exemple, réunit des morceaux pour leur donner la forme d'un tout, ici et maintenant. L'amour, particulièrement physique, est aussi un instant d'unité précieux. D'autres activités, comme la musique, la peinture, tous les arts en fait, jouent avec cette annihilation du déchirement du temps. Qui d'entre nous ne l'a pas éprouvé ? Mais HH voit surtout dans la mort la grande union potentielle, qui, au contraire des précédentes, est durable, comme un retour à l'intemporel, l'innomé, l'exhaustif. Réfrigérant, n'est-ce pas ?
 
Le ton général de ce livre est sombre, pesant. Peut-être la concentration paisible sur un morceau de destin vaut-elle déjà la peine de s'y consacrer, même si, ce faisant, nous perdons la ligne de l'ensemble. C'est en tout cas ce que l'humanité a toujours fait et c'est ainsi qu'elle a fait progresser sa compréhension du monde, autant que ses moyens d'agir sur lui. Pas toujours, d'ailleurs, à bon escient. Le débat est ouvert.
 
Le livre de poche No 3163 (1920), 315 pages