Klaus Mann (1906 - 1949) écrit en 1949 dans ce gros livre (650p.) une autobiographie passionnante à plus d'un titre.
Il est d'abord le fils de Thomas Mann, célèbre auteur allemand. Les anecdotes qu'il livre ici sur son auguste père, plutôt froid et distant, précisent le portrait de ce maître de la littérature.
Mais il y a bien d'autres richesses dans ce livre d'un écrivain talentueux qui, dans sa vie comme dans son œuvre subira l'ombre de son père et celle de son oncle Heinrich Mann (le sujet, prof. Unrat = l'ange bleu).
Et puis, K M vit difficilement sa maturité d'homme : sensible au charme masculin et pratiquant avec son extravagante sœur Erika une relation ambiguë. Peu de contraintes, morales ou financières et une confiance excessive dans son plaisir comme seul guide de sa vie. Celle-ci s'achèvera en 1949 par un suicide.
Mais surtout K M vit à l'époque de la république de Weimar et assiste à la montée du communisme (qu'il approuve) et du nazisme (qu'il exècre) comme un drame qu'il anticipe et qui le déchire, en dépit de la facilité qu'il aura à s'exiler et à continuer à écrire et à conserver un public. Rien n'est plus poignant dans ce livre que la description de la bêtise et de la veulerie d'Hitler et de sa clique, ce "sauveur" adulé par une nation aveugle en quête de héros romantique et qui se révélera totalement imperméable à la démocratie et à ses obligatoires compromis
K M, indépendant sans concession, refusera tout lien avec cette vague de boue qui déshonore son pays, dont il conserve jusqu'à sa mort une image élevée.
Il lui reste l'exil qui, même confortable, sera ressenti comme une déchirure. Il devient citoyen américain et exercera ses talents d'écrivain en langue anglaise dans ce pays où il rencontrera un certain succès. Fort de ses convictions et de sa nouvelle citoyenneté, il s'engage non sans mal dans l'armée U S et contribue à la chasse au nazisme.Se réflexions sur sa situation inconfortable vis à vis de son ancienne patrie sont un chef oeuvre de sensibilité blessée. Non, l'exil n'est pas une sinécure... Que d'illusions et d'espoirs déçus !
Un très beau livre, d'un enfant gâté qui découvre la réalité tragique du monde, ce que son talent nous rapporte avec cœur.
Éditions 10/18 no 3272 (1991)