"Apprenez à ne pas vous laisser berner ! Ce livre a l'ambition de vous entraîner à cet exercice dans un monde dont nous ne devons pas laisser les commandes aux charlatans à courte vue qui exploitent notre candeur et notre ignorance". Les auteurs donnent ici de façon claire leur intention en réagissant à la visible montée des faux savoirs, souvent fondés sur la supercherie, que sont l'astrologie, la radiesthésie, la télépathie et autres joyeusetés paranormales. Sans oublier le rôle détestable que jouent les médias dans la propagation de ces mystifications.
Les exemples, les explications, souvent savoureuses, nous font passer un bon moment. Et la méthode choisie, qui consiste à nous enseigner des trucs et des tours, excite notre intérêt. On ne peut que s'affliger avec les auteurs de notre incroyable crédulité que le niveau d'éducation n'aide d'ailleurs pas à maîtriser... Besoin de se rassurer sur l'ordonnance du monde ? Besoin de se dire que notre existence n'est pas que hasard ? Besoin de créer une finalité à notre destin en lui inventant de drôles de costumes ? Besoin aussi de consolation quand la raison n'est plus secourable à la peine ?
Tout ce "Pourquoi ?" est en fait très peu abordé dans ce livre, sans doute par crainte des auteurs de sortir de leur discipline. G. Charpak est Prix Nobel de physique et a sans doute scrupule à le faire. Et pourtant c'est bien une vraie question, car ce n'est pas d'aujourd'hui que les hommes ne se contentent pas du rationnel. Où est le rationnel dans la foi ? Où est le rationnel dans l'amour, cet instinct de reproduction sublimé ? Est-ce par la raison que se font les choses importantes ? Non, bien sûr, comme l'histoire nous le montre, la vie n'est pas un problème de math à une et une seule solution et aucune note de bonne musique n'est sortie d'une machine.
Autant la première partie de ce livre me parait fondée : ne nous laissons pas berner pas les gourous de toutes espèces (j'y aurais volontiers inclus les prêtres de toutes les religions, mais ce n'est sans doute pas politiquement correct), autant la seconde partie et la conclusion, dramatisant le risque que nous font courir ces gourous, et incitant à la mobilisation des forces anti-obscurantistes me parait de l'idéologie abusivement simplificatrice. Le risque pour l'humanité est certes de subir les conséquences des erreurs qu'elle commet, mais c'est au nom de la raison qu'elle le fait et avec les moyens sans cesse croissants que sa fille aveugle, la science, lui donne.
Quant à l'éducation, remède à nos maux paraît-il, il suffit de voir la foi des petits-savants dans l'astrologie ou autres vacuités (p. 190 et suite), pour ne pas attendre le salut de cette direction. Quant à l'aveuglement politique dont l'intelligentsia éduquée a fait preuve devant le racisme, "le socialisme scientifique" et autres terreurs, cela ne nous apporte aucune sécurité sur sa vision.
Non, l'éducation ne suffit pas ; je la considère plutôt comme un obstacle supplémentaire, car elle crée un filtre d'analyse, terriblement efficace dans son domaine, ce qui lui donne un prestige infondé et l'illusion que sa méthode est la bonne dans l'art de vivre avec les autres hommes, la politique. Et c'est bien là qu'est la question la plus difficile... Ne nous laissons pas berner...
Éditions Odile Jacob 2002