Cette pièce de théâtre, écrite en 1959 est indissociable de nos jour du film de Costa-Gavras, "Amen". On connaît le thème du film : le silence jugé coupable du pape devant le massacre organisé des juifs dans les camps d'extermination nazis. Le livre me paraît avoir une autre portée, qui inclut cette question bien entendu, mais en pose aussi d'autres, plus permanentes et si je peux dire plus profondes sur la condition humaine.
Car qui peut être certain qu'il s'agissait d'une extravagance, d'une percée temporaire du "mal" que les forces du bien feraient rentrer dans l'ombre ? Dans l'ombre, précisément, la bête ne rôde-t-elle pas encore ? Comme le dit l'auteur, ce ne sont pas des assassins forcenés qui ont commis ces crimes, mais des bons pères de famille, patriotes, croyants et qui, la guerre finie, ont pour la plupart réintégré la vie civile pour y faire d'autres enfants, y travailler avec courage et recevoir distinctions et honneurs. Non, le lampiste, même coupable, n'est pas toujours la victime, ni même redevable de ses crimes. Et c'est pourtant sur lui en démocratie que repose en fin de compte le choix du "bien" politique et social. On tremble un peu...
Un second point soulevé par R. H. est tout à fait passionnant et actuel (p. 199). Les événements et les découvertes décisives de notre époque dépassent l'imagination humaine, (sa capacité de représentation). L'homme ne peut plus concevoir ce qu'il fait, dit-il. On le savait en science où la représentation mathématique ne laisse plus de place au bon sens (voir le superbe livre de R. Omnès : philosophie de la science contemporaine) ; on l'ignore ou le néglige dans les autres champs. La puissance acquise est telle que les actes deviennent "hénaurmes", leurs conséquences imprévisibles, leur enchaînements non maîtrisables. Et l'homme aussi cultivé soit il , ne réussit plus à s'en faire une image qui puisse encore toucher son cœur. L'auteur, sensible à cette grave faiblesse, sachant que ses lecteurs ne sauront pas mieux se figurer l'extermination aujourd'hui qu'alors ceux qui la mettaient en œuvre, tente de nous la faire sentir et y réussit. Car sans cette perception autre qu'intellectuelle, où est le mal ? C'est, à mon avis le plus grand et louable succès de ce livre.
Plus classique est ce qui concerne la position du pape. Cette église au fonctionnement pyramidal, placée sous l'autorité indiscutable d'un seul homme a au moins l'avantage de ne laisser aucune ambiguïté sur l'origine des décisions et sur la responsabilité qui en découle. Pie XII , le Vicaire, était un diplomate et voyait à l'Allemagne une fonction clé de tampon entre l'Occident et la Russie communiste. A ses yeux ill ne fallait pas affaiblir cette Allemagne par la dénonciation des crimes nazis, qu'il connaissait parfaitement. Choix d'un homme, non du représentant d'un Dieu sensible aux souffrance de ses créatures. Choix aujourd'hui reproché.
Le livre est bien écrit, ménage des rebondissements qui tiennent en haleine, et ouvre une large place à la réflexion du lecteur. Un excellent livre.
Éditions Seuil 1963