Ce très long roman (650 pages) a été écrit en 1929, époque tragique de la vie de l'Allemagne, dont il traduit à travers ses personnages une vision plutôt désespérée.
Un jeune homme de 16 ans, Etzel Andergast, vit sous l'autorité rigide de son père, procureur, qu'il hait. Il a en effet chassé ignominieusement sa femme qui l'avait trompé et Etzel vit séparé de sa mère et en fait de toute affection autre que celle de sa nourrice. Il fourbira une terrible vengeance lorsqu'il découvrira que son père a condamné à tort (et sciemment ?) un homme encore emprisonné, Maurizius, il y a 18 ans. Tous les personnages sont alors entraînés par le flot impétueux de cette vengeance, y compris le vengeur Etzel lui même.
Triste affaire, où il sera facile de gloser sur les principes "bourgeois" inhumains qui conduisent à de telles injustices et à de telles ignominies. Sans doute, mais ce serait un peu simple et mensonger de rêver d'une justice qui ne se trompe jamais, guidée par l'amour du prochain, de maris qui pardonnent les offenses publiques en dépit de leur fonction sociale, d'entente père-fils qui ne passe pas à un moment ou un autre par un rejet œdipien.
J. W. me semble au fond penser que le monde n'est qu'une vaste erreur judiciaire où l'homme se débat selon son talent et ses moyens. Et cette erreur, sorte de péché originel, est si profonde que ni sa révélation, ni son amnistie n'apportent la paix. Tous les personnages sombrent à leur manière et on peut même se demander si leur vie n'avait pas plus de sens au sein de cette erreur qu'après sa révélation. Maurizius avait acquis sagesse et stoïcisme ; la haine d'Etzel, nazi avant l'heure, le rend fort habile et entreprenant ; la bêtise insigne de la belle Anna Jahn la protège mieux que sa beauté ; Waremme mène sa danse satanique ; le père de Maurizius vit de son espoir. Reconnaissons que l'époque était sombre et que ce pessimisme vis à vis du pouvoir du "bien" et du "juste" n'était pas sans fondement.
En revanche, il me semble que ce roman ne "prend" pas. Il est beaucoup trop long et je ne partage pas la délectation de J. W. devant se interminables considérations psychologiques prétentieuses et en général sans grand intérêt. Apprendre que "es femmes bêtes n'ont pas d'âme", ou autres stupidités de ce style rend ce livre difficile à lire tant il est ennuyeux et sonne faux. Tant et si bien que sa thèse même, pourtant intéressante, est peu crédible tant elle est entourée d'un foisonnement de mots vides. Dommage.
Éditions Mémoire du livre (2000)