bauchau oedipe

 

Œdipe, déchu de sa royauté est exclus de Thèbes comme conséquence de son double crime. Il va errer jusqu'à sa mort. Sa fille Antigone l'accompagne et Clios, un bandit convertit se joint à eux.

Henry Bauchau décrit avec une rare poésie, et dans un style tragique, tant cette errance que la métamorphose des trois figures du récit. Chacun accomplit un destin puissant qu'il ignore, humain (Clios), royal (Antigone), divin (Œdipe). L'auteur saisit dans ses mots une Grèce caillouteuse et malade de soleil, pauvre et fraternelle, et il y situe sa tragédie. L'épreuve qui attend chacun d'eux ne sera surmontée que par l'effort insensé des corps. La pensée est presque absente. Les mots ne servent plus qu'à capter et échanger des signes surnaturels. Les hommes, sous l'empire de cette vérité qui les conduit n'échangent plus que des pensées conventionnelles, proches de la langue de bois des réunions politiques, syndicales, ou religieuses…

C'est bien là que ces personnages centrés sur eux-mêmes me semblent en fait d'une grande pauvreté, proches de l'inhumanité, mais pleins de certitudes incommunicables. Ils hurlent, ils éructent, ils ont des pressentiments, des visions. Mais ils ne pensent pas, ils ne réfléchissent pas, ils ne construisent rien. Leur raison ne les guide pas. Ils se livrent en bloc à un sort qu'ils ne discutent pas, qu'ils ne cherchent pas à comprendre, esclaves passifs du surnaturel.

C'est pourquoi ce livre me semble un pari littéraire, d'ailleurs remarquable dans sa forme, d'écrire à notre époque une tragédie grecque. Mais ce pays, qui a posé les fondements de l'usage de la raison et de l'organisation politique, mérite, me semble-t-il de laisser dans nos mémoires autre chose qu'une image mythique de déraison, aussi grandiose soit elle.

Editions Actes Sud 1990