alikavazovic ciel
 
Ce roman-journal, délicieusement léger, a un second mérite, celui d'être original. Une femme, écrivain, se fait enfermer dans la salle des statues antiques du Louvre pour y passer une nuit, seule et dans l'obscurité. Son récit est une sorte de psychanalyse sans psychanalyste, où le fil un peu décousu de ses pensées cerne ses préoccupations et attentes majeures. À nous d'y trouver un sens, que le flux des propos suggère sans insister. Glissons-nous donc sans bruit dans ce lieu et cette nuit qui arrête le temps.
 
Convenons d'abord que la proximité, presque intime, avec les statues grecques ou romaines doit avoir une influence sur nos pensées. Ici se mélangent des réflexions sur le rôle de la lumière sur les œuvres, sur celui de leur perception, et sur la relation que nous établissons avec elles. Leur qualité est-elle intrinsèque, ou est-ce notre regard et donc notre culture, qui la fait naître ? Et n'y a-t-il que le regard qui vaille ? Non, bien entendu, le toucher, en particulier dans le noir, joue son rôle, quand on peut le faire sans déclencher une alarme, il va de soi ! Le livre revient à maintes reprises sur ces questions, avec une grande intelligence.
 
Et puis, notre enfermée aime bien jouer la (gentille) canaille. Comment voler la Joconde, se demande-t-elle, sur les anciens conseils de son père ? Ou bien, existe-t-il une sensation plus délicieuse que celle de croquer un nougat introduit subrepticement, ou embrasser l'œil d'une statue ? Mais, au fond, qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Question embarrassante qui roule comme un galet dans le flux du temps de cette nuit magique où mille autres questions vont s'entrechoquer.
 
Mais surtout, cette nuit est l'occasion de rassembler les morceaux d'un père multiple et élégant et qui  avait dressé dans son cœur le Louvre comme un temple de la beauté et en avait donné le goût à l'auteur. Lui, qui parlait souvent de voler la Joconde, n'était pas uniquement cet idéaliste d'un monde du beau. L'image mentale de ce père se construira, sans d'ailleurs s'achever, page après page, multiple, mais essentielle. Une nuit hors du temps, comme un instant de grâce et de lucidité.
 
 
Stock (2021), 155 pages