novalis henri
 
Cette œuvre romantique, dont l'écriture fut interrompue en 1801 par la mort de l'auteur, tente de faire vibrer notre part de sagesse universelle par la poésie. Un roman ? Pas au sens actuel, où l'on attend beaucoup de l'intrigue, ici presque naïve, mais au sens de l'époque, qui attendait de cette forme littéraire une sorte d'opéra de l'esprit, complet, global, nous invitant au partage, à l'initiation aux sphères supérieures.
 
Ce roman fascine, car il illustre à merveille le gouffre qui sépare la méthode du poète et celle du scientifique, en déployant, du début à la fin, toutes les séductions et les moyens de la vision poétique pour appréhender un monde humain supportable, voire sage. Ces approches sont-elles antagonistes ou complémentaires ? Las, elles sont si éloignées qu'un certain "racisme" méthodologique est inévitable, avec ses anathèmes et ses exclusions. Serait-ce là une faiblesse majeure de notre civilisation ?
 
Pour comprendre cette méthode poétique d'approche du monde, notons qu'elle recherche toujours dans une organisation plus élevée l'explication de la structure de l'organisation de niveau inférieur et fait l'hypothèse que la plus haute impose sa loi. Le roman rappelle maintes fois cette "logique", d'ailleurs assez proche de celle de l'Asie, même contemporaine. C'est aussi celle des religions, où les dieux sont partout et coiffent tout.
Amusons-nous un instant à remarquer que la logique scientifique est exactement opposée : réduire l'organisation à ses composants aussi petits et simples que possible et tenter de les comprendre jusqu'à en écrire les lois. Alors, l'organisation de niveau supérieur regroupera ces composants dont l'assemblage permettra de connaître la loi de celle-ci.
 
Tout cela rend donc ce roman difficile à lire à notre époque, même s'il dégage une grande séduction dans ses conceptualisations des mondes supérieurs, où l'évocation, l'analogie, le symbolisme règnent. Un nuage est un charme, une pierre renferme un trésor, une pensée est l'incarnation d'un esprit plus vaste, etc. Que de phrases ou de mots flottants, sans autre force de conviction que la bonne volonté du lecteur que ce flux poétique doit entraîner !
 
Même si cela convainc difficilement nos esprits actuels façonnés par l'incroyable efficacité de la méthode scientifique, on ne peut que tomber sous le charme du propos et des visions globalisantes qu'il contient. D'autant plus que chacun découvre de nos jours que la science et surtout la technologie qui en résulte ont besoin d'une pensée structurée pour ne pas conduire à la folie et à la destruction. Une sagesse ? Il est temps de lire Novalis !
 
L'Imaginaire Gallimard (1802), 253 pages