Ce beau portrait de Clemenceau âgé est aussi celui d'une femme qu'il a fascinée, frappée par le décès d'une fille de 17 ans et par un ménage en déshérence. Les faits sont réels, mais le journal de cette femme, Marguerite est imaginaire, Clemenceau ayant détruit son courrier à sa demande. En revanche, les lettres quotidiennes de Clemenceau à Marguerite sont publiées et donnent son poids de réalité à ce journal imaginaire qui se lit avec appétit.
Clemenceau est le personnage historique qui, Président du Conseil en 1918, a donné à une France épuisée, l'énergie de conclure à son avantage une guerre terrible, quand le défaitisme rôdait. Il était donc un personnage fort, dur, sûr de son jugement et de l'honorabilité de ses actes, que le pays avait reconnus, au point de lui attribuer le surnom de "Père de la Victoire". Un personnage adulé, mais aussi jalousé et qui ne manquait pas d'ennemis politiques !
Le portrait fait ici est crédible et extrêmement vivant. Embarqué à 82 ans dans la dernière aventure féminine de sa vie (encore que...), il déploie pour conquérir et conserver cette femme attachante tout son esprit et toute sa force, qui sont encore spectaculaires. Sur bien des points, Clemenceau était en avance sur son temps (liberté individuelle, droits de l'homme, État de droit, etc.), même si, vis-à-vis des droits des femmes, il conservait les réflexes du siècle passé. Cela convenait sans doute mieux à son tempérament de chasseur ! On note aussi son désintéressement financier, qui fut certainement un des facteurs majeurs de son indépendance.
Mais au-delà des principes, il savait être un homme charmant et charmeur, plein d'esprit, curieux, cultivé et brillant, en dépit de son âge. Son humour et ses mots d'esprit rapportés ici sont ravageurs et ont dû, plus d'une fois, lui créer de solides inimitiés ! Et, même si l'aventure qu'il a eue avec Marguerite fut façonnée plutôt par l'esprit que par la chair, un tel attachement impressionne, qu'un échange quotidien de courrier a soudé et a permis de rendre immortel. Autre temps !
Un mot aussi sur l'écriture très agréable de l'auteur, toute en petites touches, légères et néanmoins précises. Un très beau récit, touchant et chaleureux. Une réussite.
L'Observatoire (2021), 222 pages