Ce très bref roman nous fait imaginer la solitude angoissée de Gustav Mahler à son dernier retour des USA en bateau, peu avant sa mort, déjà épuisé par la maladie. Angoissée, non par la peur, mais par le trop-plein qui s'agite en lui et lui refuse le repos. Trop plein de musique, d'amour, de succès et d'échecs, de bonheur, de trahison et de malheur. Rien ni personne avec qui partager ce tourbillon obsédant de pensées dont il sait qu'il l'accompagne probablement vers le néant.
Cette solitude surprend, quand G. Mahler est encore le chef d'orchestre le plus respecté du monde et un des tout premiers compositeurs. Même les poissons volants attendront sa perte de conscience pour se manifester ! Seul, un garçon de cabine échangera avec lui quelques mots au cours de ce voyage. Solitude recherchée d'un être blessé par sa maladie et sa vie privée ? Solitude voulue d'un créateur pour qui elle est une condition habituelle indispensable ? Solitude nécessaire à l'établissement du dernier bilan ? Et pourtant, solitude qui semble bienvenue, familière, à ce travailleur boulimique qui n'a jamais été un mondain.
Cette leçon de simplicité, où la renommée et la gloire si proches ne sont plus que des oripeaux qui se détachent, s'appuie sur une écriture elle-même empreinte de modestie. Aucun éclat, aucun sentimentalisme, mais des faits et des pensées au fil du vent qui balaye ce paquebot. Un roman mélancolique qui anticipe le silence que l'on pressent.
Sabine Wespieser (2022), 122 pages