Afin qu'une image de photo argentique se montre à nous, il faut un révélateur. Pour lire un fichier, il faut avoir un logiciel adéquat. Et si, pour découvrir un homme, il lui fallait une, voire plusieurs femmes ? Cinq, par exemple ? Et les choisir fort différentes, certaines parfois plus proches du réveil que du rêve ? Mais au fond, pourquoi cette investigation bien indiscrète ? C'est tout le charme de ce roman qui en a beaucoup, où l'auteur laisse filer sa nostalgie inassouvie (aurait-elle pu être assouvie ?) de la beauté, un des avatars de la grâce ?
A dire vrai, nous sommes à l'Opéra. Pour procéder à cette révélation de la vraie nature du héros, les combats de divinités font rage pour le convaincre et le séduire, ce héros bien embarrassé d'une telle sollicitude et souvent maladroit. Le "Songe de Scipion" de Mozart voyait combattre la Constance et la Fortune, comme Le Plaisir, La Beauté, le Temps et La Désillusion le font chez Haendel dans "Le Triomphe du Temps et de la Désillusion". Ce dernier exemple nous plonge d'ailleurs directement dans notre roman où un homme, architecte heureux et séduisant, est partagé entre la Beauté et le Temps, géniteur de conséquences, donc de responsabilités, qui vont le révéler tant à nous qu'à lui-même.
Notre héros, donc, tente d'arracher à son destin des points de beauté et de bonheur pour sa retraite, car il sait que lui seul en a le pouvoir. Au risque que le temps et les circonstances lui rappellent le prix de ces instants précieux. On sent en effet chez l'auteur un émerveillement devant ces moments de bonheur que l'amour peut procurer, qu'il soit conquête ou partage. Émerveillement teinté de nostalgie comme celle qui nous saisit l'hiver quand le flamboiement des érables n'est plus qu'un souvenir. Nous avons tous ressenti un jour ou l'autre ce sentiment ébloui et reconnaissant d'avoir côtoyé la Beauté, une sorte de perfection de l'instant que certains peuvent nommer la grâce. Le roman est sur ce point une véritable réussite.
Quant à l'intrigue, elle repose sur le périple du héros entre Le Rêve, La Force, Le Savoir, La Compassion et surtout La Beauté, cinq expériences, épreuves pourrait-on dire, incarnées par des femmes. Ingouvernable, n'est-ce pas ? En effet, le Temps guette les faux-pas qui ne peuvent pas ne pas être commis. Et pourtant, la Désillusion en sera pour ses frais. Car le héros mesure ce qu'il a vécu d'exceptionnel, bien conscient de ce qu'il a déchiré dans la trame du bien, mais dont il conservera jusqu'au bout le ravissement, plus adepte en cela du beau que du bien.
Ce roman, nostalgique d'un monde où La Beauté et Le Bien sauraient s'accorder sans tragédie, est une belle réussite. Son style coulant le rend agréable. A lire avec un petit verre de cognac en main quand le ciel est noir et neige blanche. Oh, sainte dialectique, quand tu nous tiens...
Pierre Guillaume de Roux (2019), 215 pages