cosson homme parle
 
Si un beau conte occupe l'essentiel des pages de ce livre, c'est la seconde partie qui en fait le poids. Car ce conte se veut porteur d'une philosophie (on disait d'une morale, autrefois) que l'auteur explicite brièvement, mais avec panache, dans cette seconde partie. Il répond ainsi à sa façon à une question que nous ne pouvons pas ne pas nous poser, à savoir la viabilité d'un monde où l'homme ferait procéder ses actes de sa seule raison. N'était-ce pas l'ambition du défunt 20e siècle ? Un livre utile pour ses conclusions, sans doute, mais aussi pour le travail de pensée qu'il nous demande.
 
Le conte est une allégorie des mondes totalitaires d'hier et d'aujourd'hui, mais c'est aussi un vrai conte, avec ses citrouilles qui deviennent des carrosses. On doit se laisser porter, sans attacher trop de poids aux événements merveilleux qui assurent la progression de l'intrigue. Il illustre ainsi la dégradation de notre plénitude humaine quand elle se borne volontairement à une compréhension rationnelle, à tout rendre certain et à rejeter le reste, c'est-à-dire ce qui ne l'est pas. Les mathématiques elles-mêmes sont bien obligées de "croire" à certains axiomes de départ pour avancer ! Convenons que, dans le monde réel, l'homme dans sa finitude n'accède pas à tout par sa seule raison, son chat encore moins et toujours moins leurs puces... Alors, quelle forme donner à ce qu'on ne comprend pas, mais qui nous manque, nous ronge parfois ?
Comme le propose alors l'auteur, cette forme sera celle de quelque chose qui résume les aspirations de notre nature et qu'il définit comme agir pour le beau et le bien. Son vecteur dans l'action sera l'amour, la compassion. Ce sera aussi faire don de soi (Montaigne aurait limité cela à se "prêter" sans se "donner"), ne pas faire de son intérêt le moteur clé de nos actes. C'est là l'essence de ce conte captivant, mais dont la chute rappelle que rien n'est acquis pour toujours.
 
La seconde partie donne une forme plus construite à cette méditation. Elle nomme "L'Esprit qui Veille" le principe de ce que l'homme sait être là, mais ne peut appréhender par sa raison. Ce principe unit virtuellement toutes les pensées humaines pour accoucher d'une essence morale. L'homme doit s'y référer comme guide de ses actes, s'il veut conserver son honneur, c'est-à-dire garder sa liberté sans qu'elle aboutisse à un chaos. J'ajouterais pour ma part une considération politique à cette "Nécessité" individuelle proposée par l'auteur. La politique, qui est l'art de vivre ensemble, exige que certaines règles communes, non discutables, soient partagées. Quand tout se discute, comme les réseaux sociaux le laissent croire, la société se divise, puis se déchire. Un "Esprit qui Veille 2" doit donc aussi présider aux sociétés des hommes pour guider leurs actes sociaux. Il ajoutera ainsi aux règles humaines précédentes universelles d'autres qui le sont moins, plus locales, mais aussi importantes et qui constituent la vérité "en deçà des Pyrénées" de Pascal, sans laquelle un groupe humain n'en est pas un. Les partis politiques et l'Europe qui ne l'ont pas compris, en se livrant à la globalisation, en paient aujourd'hui les conséquences.
 
Notons au passage que, si nous acceptons que la raison humaine seule ne suffise pas à rendre compte de la totalité du monde, alors il est vain de demander à cette raison de construire les règles de notre vie dans ce monde. Elle aurait à bâtir les règles régissant un univers où elle n'a pas accès. Ce serait absurde, n'est-ce pas ? Nulle raison ne donnera les règles de l'amour, de la beauté, du sacrifice, etc. Un jour peut-être ? On peut craindre que le soleil soit consumé avant que cela ne se produise... Une autre approche que celle de la raison s'impose donc devant cet enjeu. L'auteur présente ici la sienne, qui mérite toute notre attention.
 
Cette seconde partie vaut aussi d'être lue pour sa forme. Elle est en effet un échange de questions et de réponses, une incantation parfois, souvent poétique, qui paraît traduire une profonde inquiétude de l'auteur. Même si sa confiance en notre capacité à surmonter l'impossible est perceptible, en particulier dans le conte, il montre souvent combien la frontière de l'inconnu menaçant est proche. Devrons-nous tous, un jour, escalader dans le froid et la neige une montagne hostile pour trouver une forme de rédemption ? Et qui en sera capable ?
 
 
Pierre Guillaume de Roux (2019), 288 pages