Peut-on établir un parallèle historique entre la situation de l'Empire romain des années 360 et l'Occident actuel ? C'est la thèse que défend ici brillamment l'auteur, avec des arguments qui méritent considération.
Ce livre est, comme l'écrit la 4e de couverture, une méditation romancée sur l'histoire, mettant en parallèle les destins deux dirigeants conscients de leur perte d'influence sur le monde. Ils ont, l'un comme l'autre, du mal à redresser la barre. L'Amérique et Rome ? Certes, mais les réflexions ici faites s'appliquent aussi à l'Europe qui a pratiquement décidé elle-même, par ses guerres répétées, de s'auto détruire.
Le mot de décadence est difficile à utiliser, car il peut véhiculer tout et n'importe quoi, l'usage fréquent portant sur les moeurs. Ici, il est compris comme s'appliquant à une communauté, autrefois admirée et crainte qui peu à peu perd l'admiration et le respect, avant d'être envahie et pillée. Ce fut le sort de Rome en dépit des efforts contraires de Julien" l'Apostat" et à la stupeur de son peuple qui se croyait encore respecté et invincible. Europe et Amérique d'aujourd'hui n'imaginent pas un instant que ce sort puisse être le leur. Rien n'est plus ardu qu'anticiper, comme le dit S. Zweig dans son livre "Le monde d'hier" à la veille de la guerre de 14 où l'Europe se voyait dans un état de paix et de prospérité indestructible...
Bien des signes, que le livre passe en revue, annoncent l'orage cependant. Pour n'en citer qu'un, qui me semble dominer les autres, notons la perte de confiance de la communauté dans ses propres valeurs traditionnelles, ce que nous pouvons constater chaque jour. Mais ne nous y trompons pas : détenir des valeurs ne signifie pas détenir le vrai ou l'utile dans un monde idéal ! C'est au nom de grandes valeurs patriotiques que l'Europe s'est suicidée, c'est au nom de Dieu que bien des crimes sont commis et c'est au nom de la démocratie que l'Amérique se précipite dans des guerres douteuses, par exemple. Mais, sans ces valeurs, serait-ce au nom du juste et de l'utile, une civilisation devient sujette aux valeurs des autres et ne se défend plus. Julien constatait la déshérence des grandes valeurs de Rome que l'individualisme ontologique chrétien contribuait à détruire et il tentait de s'y opposer.
Et, même si nous ne voulons pas appeler cela de son nom, constatons au moins la fin de ces valeurs de nos propres civilisations : disparition de la notion de gloire ou même d'honneur, patrie recouverte par de multiples couches d'appartenances, famille élargie à en perdre le sens, sphère privée en peau de chagrin, travail moins rémunéré que l'oisiveté ou le vol, religion soit folklorique aux relents de patronage, soit fanatique, etc. Encore une fois, même si ces "valeurs" étaient souvent toxiques, elles donnaient au moins un sens à notre vie que nous étions prêts à sacrifier pour elles. Il est bien clair que cela n'est plus. D'autres, sur cette terre, prendront le relais et ne manqueront pas de nous le faire sentir.
Bien entendu, le contenu de ce livre paraîtra contestable à certains, plus optimistes. Il n'en est pas moins l'occasion de se poser des questions fondamentales que le quotidien occulte et qui, peut-être, sont sans réponse autre que l'épreuve du temps.