cosson rome
 
Quel intérêt, quel plaisir ai-je eu à lire ce livre ! Bien écrit, documenté, ouvert, intelligent, sensible. Une vraie réussite sur un sujet, la chute de Rome en 410, qui nous paraît assez lointain. Et qui pourtant a de telles analogies avec la situation de notre vieille Europe et des pays qui la composent, qu'il est bien plus actuel qu'il n'y semble. De plus, il ouvre des parenthèses sur des sujets comme le pardon, la loyauté, le respect de soi, la force et son usage, le courage, la valeur d'une civilisation, etc. qui n'appartiennent pas à Rome, mais sont des marqueurs intemporels de l'humanité.
 
Ce qui m'a le plus vivement touché et qui est le fil rouge de ce court récit historique, est la déshérence du sens du bien public chez ceux qui ont accepté le pouvoir, ici l'Empereur romain et son entourage. Sont-ils sans envergure, privilégient-ils sciemment leur intérêt propre, sont-ils là par un choix d'institutions incapables, ou simplement parce qu'ils sont des imbéciles complaisants et utiles ? Ou bien, plus grave encore, parce que la civilisation et les institutions qu'ils ont à défendre ne le méritent plus et n'attirent plus ni n'entraînent le respect ? Et nos regards se sentent aussitôt attirés par une question voisine, celle de la valeur attractive de notre civilisation "occidentale" aujourd'hui, aux dirigeants à la triste figure.
 
virtus Il y a 50 ans encore, cette civilisation attirait la haine ou le désir, ou les deux à la fois. De prédatrice, elle est devenue proie, minée intérieurement elle aussi par des idéologies de la culpabilité (synonymes de dégoût de cette civilisation) qui coupent le jarret de leurs adeptes, comme l'idéologie christique l'a fait avec Rome. Jouir ou se retirer (le "retour à la forêt de Ernst Jünger) reste le seul recours ; ceux qui en doutent sont déclassés et l'intérêt général en souffre, l'espace politique étant envahi par les populismes et les idées simples. L'actuelle macronie, dont la stratégie est de refléter l'opinion, confirme et poursuit cette descente vers le néant politique. Mais y avait-il le choix face à une offre politique absente ? C'est bien là que se situe l'impasse.
 
Cette réflexion vivante sur la décadence est magistralement menée dans ce récit. Fruit de "renoncements obscurs et de lâches facilités" dit l'auteur. Certes, mais elle est aussi, me semble-t-il, caractérisée par un point de non-retour où, même ceux qui jugent bien et qui ont conscience des politiques à mettre en oeuvre, n'ont plus aucun canal efficace d'expression ou d'action. Point critique où l'illusion l'emporte sur le respect du réel, comme l'abandon par l'idéologie christique de la responsabilité ici et maintenant de nos actes pour l'évacuer vers un monde imaginaire paré de toutes les vertus. Lâcheté spirituelle, plus facile à propager que le courage et la responsabilité.
 
A ce sujet, le livre aborde souvent la division déjà bien avancée des citoyens romains entre ceux qui, souvent chargés d'ans et d'expérience gardent le respect des trois vertus romaines et de ses dieux maîtrisables, face aux autres, séduits par l'idéologie africaine du dieu unique absolu, péremptoire.  L'auteur, page 106, montre bien cette déchirure. Relatant des propos de son ami Augustin d'Hippone, il constate que la grandeur de Rome n'est plus rien pour lui et souffre de sentir que cette nouvelle façon de vivre le monde le rejette, lui et ses valeurs, avec mépris. Sa civilisation est "ringardisée" par les tenants de la nouvelle idéologie, qui va bientôt se répandre chez les dirigeants de Rome.  La montée du christianisme et la décadence romaine sont simultanées, mais on sait que tant que les religions sont utilisées par les rois comme des outils, tout va bien. C'est quand ils croient eux-mêmes à leurs propres illusions que le malheur des peuples est proche. Les religions de la race ou du prolétaire ne faisant pas exception.
 
N'oublions pas pour autant les valeurs plus littéraires de ce récit. Nous partageons les interrogations et les affres d'un sénateur romain chargé de trouver et de faire approuver par l'Empereur et par ses ennemis, une stratégie capable d'éviter la défaite de Rome. Le seul fil de cette intrigue, remarquablement mise en scène ici, justifie cette lecture. Tension, détente, espoir, déception, tout cela se succède et nous tient. Un autre fil, plus personnel, se mêle discrètement au premier et ajoute un parfum sensible à ce roman historique, qui se lit d'un trait.
Une réussite, encore une fois.
 
Paris Max Chaleil (2017) - 143 pages