Ce roman est extrêmement touchant par la sincérité de son propos. L'auteur, par le truchement des destins de plusieurs personnages, veut partager avec ses lecteurs son angoisse face à l'évolution du monde et tout particulièrement de notre société, évolution dont le sens lui échappe, si tant est qu'il existe. Le personnage principal, blessé dans sa chair et au plus profond de ses attachements humains, tente de reprendre pied en réinventant un rapport au monde, réel et spirituel, plus ouvert aux autres et plus sincère. Un pari certes, exaltant, mais bien difficile.
Je rends volontiers grâce à l'auteur de rappeler que ce sont souvent ses propres actes, fruits de sa responsabilité, qui font le malheur d'un être, au-delà des inévitables coups du sort. Et que ce sont aussi ses propres actes qui lui permettent (peut-être ?) de s'en sortir. La collectivisation des fruits du malheur pratiquée par nos sociétés sociodémocrates est la négation de cette responsabilité individuelle et du devoir d'entraide d'homme à homme, appelée autrefois charité, si riche d'humanité. Les hommes sont seuls et oublient qu'une société ne se construit pas seulement à travers le rapport entre l'individu et l'État assureur.
Le roman présente une écriture soignée, est agréable et facile à lire et s'efforce de ne jamais s'appesantir sur les situations parfois dramatiques qu'il expose. Il cherche en revanche à nous entraîner dans la réflexion que ces situations provoquent chez les personnages concernés et donc chez nous, lecteurs. Plus d'une fois, nous nous surprenons à nous interroger sur ce qu'aurait été notre comportement face aux faits exposés. N'est-ce pas justement l'objet d'un bon roman ? Et l'intrigue possède la souplesse suffisante pour nous permettre ces moments de réflexion au cours de notre progression dans le roman.
L'auteur est convaincu que les bons choix ne peuvent être faits sans un principe spirituel fort, voire transcendant, qui nous guide. Mon expérience personnelle ne m'aide pas à partager totalement ce point de vue. La diversité de tels principes, qui guident encore une part de l'humanité à travers leurs religions, n'ont jamais conduit les hommes sur le chemin de l'entente, mais plutôt vers des conflits sans solution, l'absolu étant indémontrable et impossible à faire entrer dans un compromis. De plus, la complexité de certaines visions spirituelles ( je viens de lire un beau livre sur Pascal qui ne me rassure pas sur ce point !) les rend inaccessibles au commun des mortels et les conduit souvent à des simplifications outrancières et à des contresens. N'y a-t-il pas chez l'homme assez de vertus naturelles partagées à soutenir et de vices à combattre pour faire un monde, sans faire appel au surnaturel ? Encore faut-il le faire, car il est vrai que les hommes ne s'unissent que sur des principes partagés.
Quoi qu'il en soit, ce livre est remarquable, car il donne corps à l'inquiétude de l'auteur par le jeu de ses personnages et rend celle-ci vivante, matérielle et donc accessible plus aisément au lecteur. Sans qu'il soit possible de discerner ce qui tient à l'auteur ou ce qui procède de causes générales dans la genèse de cette inquiétude, il va de soi que les questions abordées ici nous concernent tous et suscitent chez chacun d'entre nous des appréhensions et des attentes fortes. Merci à ce roman de nous aider à les aborder en toute conscience.
Les Editions de Paris (2023), 125 pages