Ce livre sensible, chargé d'espoir et de désespoir, est le roman du ghetto de Lodz, en Pologne, de 1941 à 1944. Remarquablement écrit, avec légèreté en dépit du sujet, il offre l'occasion, non à s'indigner, ce qui est stérile, mais à s'interroger sur les causes de ce trou noir d'inhumanité. L'intrigue, dont on connaît l'issue, ne lâche néanmoins pas le lecteur, malgré l'abondante littérature déjà publiée, suscitée par ces événements. Alors, existe-t-il une solution préventive ?
 
L'auteur mentionne Blaise Pascal, pour qui, sans religion (lien entre les hommes), l'homme, comme la nature, n’est que "monstres et chaos", comme il le rappelle dans son "À propos" (p. 293), que je suggère de lire avant le livre. L'érosion des liens entre les individus, comme nous la vivons en ce moment où l'intérêt privé prime tout, est certes un grave facteur de chaos et la porte ouverte aux idées folles. Mais les soumissions aux religions mystiques ou civiles ne sont-elles pas encore pires ? Les massacres commis au nom des dieux, du prolétaire, de la race (et peut-être demain de l'écologie ?) devraient nous alerter sur l'ivresse facile des convictions partagées. Oui, les hommes ont besoin d'un lien pour être autre chose qu'un chaos, mais faisons attention à ne pas trop en faire !
 
La structure de l'intrigue est fondée sur l'aventure dramatique d'un jeune garçon qui perd ses parents et surtout son jumeau dans la tourmente et va errer dans le monde terrible, funeste, mais aussi chaleureux du ghetto. Il recréera ce jumeau perdu et en fera une sorte de golem à qui il donne vie. C'est bouleversant. Tout au long de ce récit, on ne manquera pas, encore une fois, d'être touché par la solidarité de ces hommes qui, bien que conscients de leur destin, vivent, jouent et chantent pour affirmer que la vie est une bénédiction. Qu'aurions nous fait ?
 
Une remarque, au passage, ou plutôt, une question. Est-il sage d'accumuler sur la Shoah des livres, des films, des conférences sans réserve ? Et pourquoi pas sur les massacres de Staline, ou le génocide arménien, ou les crimes de Calvin, pour n'en choisir ici que trois sur les milliers qu'offre l'histoire ? Et pourquoi ne pas plutôt laisser les morts enterrer les morts ? Le travail d'historien est certes indispensable pour enregistrer les faits, peut-être même pour les commenter, mais faut-il livrer les faits bruts ad nauseam au bon peuple, même s'il adore le sang ? Le devoir de mémoire est une faute de français et peut-être aussi d'humanité.
 
Ce roman, jamais voyeur ni excessif, est un hymne à la vie et à ce lien entre les hommes qui, sans lui, vivent une vie dont le respect de l'intérêt général se dissout. Il est aussi un défi à l'absurde assurance de ceux qui croient détenir des vérités. Un beau livre.
 
Zulma (2019), 295 pages