shen fu six recits

 

Voici un roman autobiographique absolument délicieux et très accessible, bien qu'écrit en Chine au 18e. siècle. Plein d'humanité, ce livre nous rappelle avec bonheur le proche cousinage de nos civilisations et nous délivre une jolie leçon de sagesse.

 

Une vie dure acceptée

Shen Fu (1763 - ?) est un lettré chinois qui n'a pas réussi les grands concours. Sa vie matérielle (sans RSA...) est extrêmement dure, à la limite de la survie. Sa recherche de quelques pièces pour acheter des remèdes à sa femme gravement malade, est pathétique. Aucun sentiment d'injustice ne vient entraver, pour autant, sa stabilité humaine. Notons aussi au passage le rôle essentiel que jouait, au 18e siècle en Chine, cette épouse d'une intelligence et d'un esprit exceptionnels. Sa capacité d'autonomie et de décision était considérable, n'en déplaise aux féministes, qui ne voient qu'oppression avant 1949, comme le remarque Simon Leys, le remarquable traducteur.

Une vie quotidienne harmonieuse

C'est donc une plongée dans la Chine du 18e siècle que nous faisons là. Dans la Chine "d'en bas", du quotidien. SF nous apporte mille détails sur sa vie, ses rapports avec les autres et en particulier son épouse, mais aussi sur les choses qu'il juge essentielles pour réussir son existence simple. J'en retiendrai deux.

Des rapports humains privilégiés

D'abord l'importance des rapports humains (on dirait sociaux, de nos jours). L'amitié et la pratique de rapports amicaux prennent une part considérable de son temps. Entre amis, on partage le vin, on écrit des poèmes, on voyage, on s'aide financièrement. La solitude n'est qu'un état passager que l'on cherche à écourter.

Une relation harmonieuse à la nature

Et puis, nous sommes des objets de nature, ici dépourvus de cette dualité cartésienne qui anime tant l'homme occidental. Alors, puisqu'il en est ainsi, c'est avant tout dans un rapport harmonieux à cette nature que réside le premier pas vers le bonheur. Vouloir, par exemple, avoir avec le vent, la lune, ou les animaux un lien aussi direct et aussi amical qu'avec les hommes, voilà la clé d'une belle sagesse de vie que SF met à chaque instant en pratique.

Un sage usage du temps

Cela me conduit à une remarque que m'inspire ce texte. Pour pratiquer cette sagesse aimable, SF a besoin de temps, celui que, justement, nous n'avons plus. Pourquoi ? Par ce que nous le consacrons, non pas à approfondir notre bonheur de vivre, mais à accroitre notre densité de vie par le travail, la productivité, la richesse, la recherche de puissance et de savoir. Ainsi, le dernier SDF de nos sociétés occidentales actuelles vit mieux, est mieux soigné, est mieux soutenu que SF. Ce n'est pas négligeable. Mais n'est-ce pas une forme de fanatisme de la religion du travail qu'oublier dans notre éducation, dans notre vie active et même dans notre troisième âge, qu'une part de notre temps doit être détournée de la production pour construire notre vie sage et notre bonheur et que personne ne peut le faire pour nous ? Comme le disait Hannah Arendt, l'idéal du prolétaire n'aurait-il pas triomphé de tout ?


JC Lattès (2009) - 265 pages