Nous connaissons tous le talent d'un écrivain (un don ?) lorsqu'il donne vie à un personnage par ses textes. S'agit-il d'une vie réelle ? Presque, puisque nous éprouvons des sentiments parfois intenses face à cette vie que l'auteur a créée. L'écrivain va plus loin ici. Un être humain peut-il par ses écrits prolonger ou abréger des vies réelles ? Pourquoi pas, s'il le croit lui-même et qu'il trouve un public pour partager cette croyance ? C'est ce qui va se produire dans l'existence dramatique de Zabor, un enfant mal aimé, abandonné par son père, qui va peu à peu croire à son don et le pratiquer avec un certain succès. Mais le livre confirmera que rien n'est jamais acquis !
 
Le roman est le long monologue de Zabor, qui subit en solitaire, mais entouré d'écrits, sa première initiation qui le convaincra, adolescent, qu'il dispose du don de prolonger la vie de ceux qu'il connaît. Parcours d'une âpreté terrible, passant par les phases étourdissantes d'une quête mystique que son passage par une madrasa aidera. Mais, au contraire des initiations propres aux mystiques classiques, il s'agit ici d'une recherche d'une relation aux autres et non uniquement avec soi. Longue confession (parfois très longue !) dans une langue superbe, dans un discours englobant tous les aspects du monde du jeune homme qui découvre les autres en même temps que lui-même. Et qui découvre aussi la violence tapie au cœur de la vie.
 
La subtilité du roman ne s'arrête pas là. Cette première initiation va en engendrer une seconde par l'exercice du don jusqu'au conflit sans solution que pose la demande, par ses frères, de sauver la vie d'un père infâme, agonisant. C'est pour moi la plus belle part du roman, car de cette tragédie sans issue raisonnable naît un sentiment d'achèvement, une extase, qui, au fond, libère Zabor de son don. La vie peut commencer. Alors, ce don qui a donné un sens à sa vie, n’a-t-il jamais existé ailleurs que dans les rêves ?
 
Mais attention, ce livre n'est pas un long fleuve tranquille ! Nous avançons au rythme d'un escargot curieux de tout. Une madeleine se serait-elle trouvée sur le parcours, le roman y aurait trouvé dix pages à écrire. Tout y est prétexte à des flots de considérations qu'il faut être fou de littérature pour savourer. Lecteur, attention ! Route escarpée, mais récompense, quand même, tout au long du chemin !
 
Actes Sud (2017), 335 pages