Si vous comprenez que bien conduire une voiture ne nous rend pas experts en fonctionnement de ce qui est sous le capot, vous vous doutez bien que notre compétence en maniement des tablettes et autres smartphones ne fait pas de nous des experts en informatique. L'informatique, la science du traitement automatique des informations, est le moteur de ces étonnantes machines. Son fonctionnement repose sur la logique mathématique (vrai, faux, et, ou, non) et sur les algorithmes logiques qui vont traiter les données qu'on leur fournit. C'est un travail mathématique savant, dont les applications sont presque infinies, comme le montre l'évolution actuelle. Ce livre, parfois difficile, est une très belle introduction à ce monde que presque tout le monde ignore et parfois sous estime, voire mésestime, y compris nos dirigeants et, plus grave, bien des acteurs de l'éducation.
Ce monde de l'information nécessite de notre part (nous, béotiens) un effort conceptuel réel. Notre compréhension actuelle du monde repose sur les lois régissant matière, énergie et ondes. Or l'information, même si les 3 éléments en sont le support et les outils de traitement, a ses lois et ses processus spécifiques. L'algèbre dite "Booléenne" de traitement logique en est le langage essentiel et Alan Turing (célèbre pour son décodage de la cryptographie allemande pendant le guerre de 40) en a été le metteur en scène génial en l'appliquant à l'information avant la guerre, permettant les progrès constatés aujourd'hui. Pensez, par exemple à l'ABS de votre voiture qui en relève : aucun vivant ne serait capable d'effectuer cette série calculée de freinages brefs à la vitesse et la précision requises ! Pensez aussi à la montée en puissance de l'"Intelligence Artificielle", l'IA, un développement en pleine expansion de ces modes de pensée.
Ce livre, écrit par un professeur d'informatique au Collège de France nous donne une chance (assez maigre quand même) de ne pas mourir idiots. Car en France, l'informatique est ignorée ! En dépit d'études supérieures dans une des meilleures écoles, d'un cursus universitaire scientifique du plus haut niveau et d'un doctorat scientifique, je n'ai jamais eu, ne serait-ce qu'une introduction, au monde de l'informatique. Ne soyons pas surpris que la SNCF ne sache plus gérer ses trains : ceux qui la dirigent sont comme moi, ignorants, ce qui est un handicap sérieux pour diriger... Il paraît que les choses s'améliorent. On ne peut que le souhaiter.
Ce livre aide à percevoir le rôle déterminant des algorithmes et de leur maîtrise. Sans oublier au passage que la vie de nos cellules est un ballet d'algorithmes emboîtés. Et sans doute aussi le fonctionnement de notre intelligence que des algorithmes ont battue au jeu de Go récemment, immense succès de l'"IA", un résultat anticipé impossible par les meilleurs esprits. Les langages mathématiques pour les maîtriser sont en pleine évolution et l'auteur constate avec peine que la France ne dispose plus, par ignorance et incurie de ses décideurs, de la matière et de l'infrastructure féconde en ce domaine. Est-il encore temps de réagir et d'éviter la colonisation américaine ou chinoise ? Quant à l'Europe, encore une fois, on ne peut qu'avoir honte de son absence sur un sujet aussi déterminant pour notre avenir industriel et notre indépendance.
Et si les chapitres conceptuels difficiles vous rebutent, sautez-les pour aller au chapitre essentiel sur les "Études de Cas", c'est-à-dire les applications souvent insoupçonnées de l'informatique à notre vie courante. Télécoms, internet, images, sons, médecine et même mathématiques sont bouleversées par la systématisation de l'application des algorithmes à leur domaine. Imaginez-vous, par exemple qu'une photo banale est une manipulation algorithmique effectuée à la vitesse de l'éclair sur des informations recueillies sur des capteurs imparfaits et sublimées par ce traitement ? Ce chapitre est passionnant et plein de découvertes, au moins en ce qui me concerne et mérite à lui seul l'achat de ce livre. Il en va de même avec le chapitre 11 sur les perspectives perçues par l'auteur dans ce domaine. Ses recommandations, face à notre (française et européenne) carence, méritent d'être méditées, car c'est, encore une fois, notre indépendance qui est en cause, lorsqu'on prend conscience que l'informatique est partout, avec une intensité qui va croissant quand notre savoir-faire va diminuant. Notre désindustrialisation constatée est simplement la conséquence de notre aveuglement devant les nouvelles voies industrielles. La Californie ou la Chine ne sont pas en voie de désindustrialisation !
Le chapitre sur les "bugs" (erreurs de programmes) et les failles de sécurité induites est essentiel, mais difficile. Le laxisme des débuts de la programmation et qui a ses effets délétères aujourd'hui encore, doit être éradiqué. La prolifération des virus ne s'explique pas autrement, par exemple. En effet, ces "bugs" rendent l'informatique peu sûre (le programme fera-t-il ce qu'on souhaite ?) et en réduit la sécurité (un tiers malveillant peut-il prendre la main sur mon programme ?). Le livre présente des "bugs" célèbres qui ont parfois conduit à des échecs graves (exemple: l'explosion d'Ariane 501). Les paragraphes sur la correction des programmes sont d'une lecture ardue cependant...
Ce livre est essentiel pour nous ouvrir à cette discipline qui envahit et continuera à envahir notre existence. La légèreté dont font preuve, par exemple, l'éducation ou des branches de l'industrie comme l'automobile face à l'informatique est bien mise en évidence dans le livre. Elle montre que cette discipline n'est ni apprise ni même comprise dans de nombreux milieux. Lorsqu'on voit les succès industriels américains et chinois et les sommes investies par eux, on peut craindre un effacement de l'Europe qui, à ce jour, semble passive et ne consacre ni ressource ni effort à cette branche industrielle. Allons-nous passer à côté d'un changement majeur et dépendre un jour de ceux qui y ont investi ? Il nous restera la nostalgie... Nous formons des sociologues ; on ne peut pas tout faire, n'est-ce pas ?
Odile Jacob 2017, 512 pages