Ce très bref livre (moins de 100 pages), plaidoirie prononcée à l'occasion du procès des attentats de janvier 2015, affirme que l'Islam a été peu à peu dominé par les courants fondamentalistes dans le monde entier (il les nomme "littéralistes"), au détriment des courants plus proches de la raison (les mutazilites, par exemple) qui ont été éliminés par l'histoire. C'est donc l'Islam qu'il juge responsable des attentats, par ses choix et non une éventuelle sous-branche fanatique de cette religion qu'il conviendrait de circonscrire. La carte de l'implantation des frères, wahhabites et autres salafistes fait craindre que cette domination "littéraliste" soit avérée et devienne un danger pour l'équilibre des nations.
 
Même si les autres monothéismes se sont orientés (souvent par la force) vers des formes plus progressistes, plus confiantes en l'humain et en sa raison, l'auteur montre à quel point leur origine de pensée est violente, mortifère, comme le sont certains textes de la Torah ou de la Bible. Il récuse en fait toutes les religions dans la conduite des hommes. En effet, outre leurs mensonges fondateurs, elles ont toutes une vocation totalitaire qui résulte de lois non fondées sur la raison et non modifiables dans un monde en plein bouleversement qui attend plus de souplesse d'adaptation pour survivre. La collusion actuelle entre l'autocratie russe et l'Église russe orthodoxe montre bien vers quoi va une religion monothéiste si elle n'est pas maîtrisée.
 
On peut comprendre cette position, surtout lorsqu'on est soi-même athée, convaincu que les hommes n'ont qu'eux-mêmes comme recours pour faire face à leur destin dans un monde qui change sans cesse par nature. Mais refuser toute croyance de transcendance qui peut aider, guider, serait sans doute méconnaître la puissance de cette attente chez l'être humain et donc se tromper. L'histoire n'a d'ailleurs pas inventé que les dieux pour donner à l'homme sa dose d'espoir et d'objectifs communs, sans laquelle les collectivités ne sont que des agglomérations fragiles d'individus. Il y a eu le nationalisme, le prolétaire et la race et ça a été pire encore. Leur échec laisse un vide immense en occident, qui ouvre la porte à d'autres folies, dont un signe avant-coureur pourrait bien être l'écologisme fondamental. Danger.
 
Malgré cette réserve, ce livre doit être lu, même par ceux qui ont la foi, mais qui peuvent prêter à leur dogme et son verbe une confiance trop absolue en leur générosité et leur désintéressement. La lucidité n'est pas un péché. Et cela vaut autant pour les chrétiens et les juifs que pour les musulmans qui sont particulièrement sous les projecteurs de nos jours du fait de cette dominance littéraliste et dont une grande majorité en souffre. Car ce n'est pas au monde tel qu'il est de s'adapter à nos croyances, mais l'inverse, même si cela peut s'avérer difficile. Il faut relire " Le Discours décisif" d'Averroès (XIIe siècle), qui marqua l'apogée de la pensée rationnelle dans l'Islam.
Ce livre, au style vif de la plaidoirie, plaide pour un retour vers cette ambition intellectuelle féconde et une mise au chômage des zélateurs enturbannés de la pensée magique qui souhaitent arrêter le temps. N'est-ce pas l'intérêt de l'Islam autant que le nôtre ?
 
Grasset et Fasquelle (2023), 95 pages