"L'éveil d'une superpuissance"

 

"Le but du PC chinois n'a jamais été de rejoindre la sphère démocratique, mais bien de lui résister, puis de la vaincre"
 
Ce livre apporte la confirmation de cette phrase par une analyse historique très sérieusement documentée. L'Occident a souvent espéré ( cru ?) le contraire et a prêté à la Chine une intention qu'elle n'a jamais eue et qu'elle n'aura sans doute jamais sous son régime communiste vertical actuel. Non, l'enrichissement à lui seul ne conduit pas automatiquement à la démocratie. Quelle déception !
Mais surtout, il montre que c'est l'Occident qui a apporté à la Chine la puissance économique et donc politique qu'elle a aujourd'hui. Puissance que, probablement, elle ne maîtrise pas plus aujourd'hui qu'hier et qui reste dans nos mains : marchés, capitaux, technologies. Sans doute la Chine n'est-elle pas la superpuissance tant célébrée par les médias ; l'auteur la juge même "dans une impasse". Il n'en reste pas moins qu'elle a su exploiter les circonstances que l'Occident a créées et a mis un pied sur la voie de l'amélioration des conditions de vie de son peuple, même si beaucoup reste encore à faire, particulièrement à la campagne. Un livre passionnant, qui place la Chine là où elle est réellement et pose la question de son avenir.
 
Une croissance sauvage...
 
Le livre montre les conditions réelles dans lesquelles la Chine a fait sa croissance économique depuis Mao. Ces conditions n'ont jamais intégré avec sincérité ni avec l'intention de les appliquer, les règles ou les accords internationaux en vigueur. Non-respect des traités signés (OCDE, par exemple), non-respect de la propriété industrielle, pillage organisé du savoir-faire et des brevets, main-d'œuvre sous-payée, voire contrainte, sans droits du travail ni respect de la santé des employés, financements internes débridés sans contrôle et ayant conduit à une dette actuelle de plus de 200% du PIB, financements étrangers fondés sur des promesses non tenues, monnaie non convertible, expropriations des étrangers, y compris industriels, sans préavis, justice inexistante aux ordres du parti, corruption sans frein, etc.  La Chine aura été (est encore ?) un terrain de jeu aux règles faussées où les aventuriers font des coups. Gros risque, donc parfois gros coups, mais rien de sérieux ne peut s'y construire. Il suffit d'y découvrir les infrastructures (centres commerciaux, stades, voies ferrées, autoroutes, etc.) inutilisées et désertes pour comprendre que l'investissement a été fait sans préoccupations de son utilité ni de son rendement économique, mais pour l'hubris et l'enrichissement de certains. La dette faramineuse de l'État et l'inflation en témoignent. Aujourd'hui, la croissance se réduit, qui cache et répare les erreurs. Les conséquences peuvent être sérieuses.
 
... à la recherche du bas prix, mais...
 
Ce qui est également bien argumenté dans le livre est la candeur de l'Occident, cocu mais content, qui voyait en la Chine une usine pour fabriquer tout et n'importe quoi à bas prix, sans mesurer les conséquences. Les premières sont aujourd'hui un réarmement menaçant de ce pays qui voit dans l'Occident un ennemi responsable de chacune de ses difficultés et une désindustrialisation grave chez nous. Un exemple de cette inconscience court-termiste : la Chine est entrée à l'OCDE sans que soient exigés une monnaie convertible ni un droit du travail assorti d'une justice pour le faire respecter. On ne compte plus les implantations occidentales qui ont trébuché sur l'absence de règles, le chantage des chefs locaux, l'impossibilité pratique de faire respecter ses droits et sa propriété et qui ont terminé en catastrophe cette expérience.
 
...qui ne conduit pas à la démocratie
 
Mais la pire illusion occidentale aura été celle qui consistait à croire et à faire croire que la croissance de la Chine allait conduire nécessairement au respect des règles internationales et à un accroissement de la liberté conduisant à la démocratie. Rien n'aura été plus faux, car liberté et démocratie auraient signé la mort d'un système idéologique vertical et maffieux et la ruine de ses aficionados, habitués à confondre l'argent public et leur porte-monnaie et fort inquiets du désordre intrinsèque à la démocratie. De plus, les textes que rapporte le livre, déclarations, discours, livres montrent que la Chine a toujours affirmé haut et fort qu'elle ne cèderait jamais aux sirènes des systèmes occidentaux. Mais nous avions plus confiance en nos espoirs qu'en la parole des dirigeants chinois !
 
Et maintenant, quelles ressources scientifiques pour continuer ?
 
Il reste un point que le livre n'aborde pas et qui est essentiel à mes yeux à la Chine pour passer à l'étape suivante. Jusqu'à aujourd'hui la Chine a copié la technique occidentale en se faisant livrer gratuitement brevets et savoir-faire. Est-elle capable de faire des progrès scientifiques qui lui permettent, demain, de continuer à proposer des produits innovants si cette livraison gratuite de savoir scientifique cesse ? Il est clair que lorsqu'elle détient ce savoir, elle sait assurer son développement technologique. Mais saura-t-elle innover scientifiquement ? Sans cela, ses batteries dans 10 ans seront toujours Li-ion, par exemple, et ne se vendront plus. Ma quasi-certitude est qu'elle ne saura pas. La Chine (et l'Asie en général) ont un système culturel qui ne rend pas la recherche scientifique facile ni naturelle. Les hommes ne sont pas en cause, qui peuvent devenir de brillants scientifiques aux USA ou ailleurs, mais en Chine, non jusqu'ici. Aucune découverte scientifique majeure (conceptualisation mathématique des lois de la nature) n'a été faite en Asie. Pas de mécanique quantique, pas de relativité ni de vaccin ARN. Je peux, bien entendu, avoir tort, car la Chine elle-même est consciente de cela et fait des efforts considérables pour modifier cet état de fait.
 
Sans l'Occident qui l'a fait grandir, la Chine n'aurait pas parcouru le chemin qui l'a conduite là où elle est. Elle fait aujourd'hui son complexe d'adolescente et vomit ses parents qu'elle craint. Les dirigeants chinois connaissent certainement leurs limites, en partie fabriquées par leur système politique totalitaire. Sauront-ils trouver à la situation actuelle une autre issue que le pire ?
Merci à ce livre d'avoir remis les choses à leur place.
 
Taillandier (2022), 570 pages