Ce roman sensible, à l'intrigue émouvante, est une mise en espace du travail du peintre Vermeer (1632-1675) et de sa rencontre avec sa servante Griet qui l'aidera dans son travail de préparation des peintures et sera son modèle de "La jeune fille à la perle". Plus étonnant, elle partagera d'instinct avec lui ses impressions sur la composition et les rapports de couleurs des tableaux en cours. Improbable, inattendu, ce rapport entre deux êtres si différents est magnifiquement écrit et nous touche. Il nous rappelle l'universalité de l'art quand il sert cette attente de beauté qui nous transcende tous. Le faire vivre, comme ici, vaut mieux encore que le dire, même si nous sommes bien conscients qu'il s'agit d'une fiction et non d'un récit historique.
 
Cette jeune femme de 17 ans découvre la vie, placée par ses parents comme servante dans la famille Vermeer, pour gagner les ressources que le père de Griet, subitement aveugle, ne peut plus réunir pour leur survie. Nous sommes au 17e siècle et la condition de servante est dure et modestement rémunérée. Longues journées d'un travail physique intense qui abîme le corps et n'enrichit pas l'esprit. Ici, en revanche, l'opportunité de croiser le maître et ultérieurement de partager un peu de son génie va tout changer pour Griet. Le roman décrit avec prudence cette incursion de la jeune fille dans un univers où rien d'autre que son instinct ne la conduit, découverte qu'elle n'ose avouer à personne tant le contraste est fort entre son état de servante et celui de son maître, le peintre.
 
Contraste est même un mot faible ; incompatibilité serait plus approprié. Car, à cette époque, les fonctions, ici servante, sont des marqueurs indélébiles des conditions sociales et des barrières infranchissables. Le roman joue avec cette situation. Par exemple, le peintre ne peut faire pénétrer sa servante dans son atelier pour l'aider qu'en secret. En faire son modèle n'est en rien anodin, ni pour elle ni pour lui. Quant à lui faire porter les boucles d'oreilles de son épouse pour équilibrer les lumières du portrait de son visage, c'est un sacrilège social qui aura des conséquences graves. La structure de classes est parfaitement rigide ! Même dans le rapport affectif qui se développe entre Griet et Vermeer, celui-ci placera toujours l'intérêt de son travail et le respect de son rang au premier plan. On peut désirer une servante, pas l'aimer.
 
Ce beau roman est ainsi une promenade dans le monde si proche et si lointain du 17e siècle. L'aisance est rare dans ces familles où l'on est souvent très proche de conditions de survie. Travail harassant, confort minimum, épidémies, sédentarité extrême, durée de vie courte et familles nombreuses pour répondre aux décès prématurés des enfants. Les religions, dont le roman parle un peu, apportent une justification à ces conditions rigoureuses, mais aussi une voie vers l'espoir, quand elles ne se combattent pas entre elles.
 
Ce roman très riche nous fait partager tout cela avec une très grande sensibilité à travers les yeux de Griet, la jeune fille à la perle, que nous n'oublierons jamais quand nous aurons la chance de retrouver son beau visage ouvert et curieux que la perle transgressive illumine.
 
Folio (2002), 313 pages