Au Japon, vers l'an mille, à l'époque du dit du Gengi, une dame de cour écrit ses pensées. Quand nous les lisons aujourd'hui, ces textes nous parlent encore. Nous ressentons la même empathie, la même émotion que si elle avait écrit hier. Est-il meilleure preuve de notre humanité, au sens le plus large, celle qui fait fi du temps, des lieux, des cultures , humanité que nous passons notre existence à nier, voire à détruire, en dressant contre elle identités, cultures clivantes, religions haineuses ? Savoir cela pour en tenir compte dans nos comportements, ne serait-ce pas aussi une "chose qui rend heureux", pour paraphraser le titre de ce très sensible écrit ?
Sei Shônagon propose un cercle très large des choses à considérer, autant que des attitudes que nous pouvons avoir face à elles. Les choses, par exemple, qui font battre le cœur, ravissantes, qui perdent à être peintes, auxquelles on ne peut guère se fier, etc. Une liste de réponses suit, qui reflète évidemment la classe sociale de l'auteur, son pays, mais tout autant sa grande connaissance de ce qui l'environne, faune, flore, rapports humains, etc.
L'écriture est simple, sans affèterie philosophique, toute chargée de bon sens et souvent d'émotion contenue. Un exemple ? À la question "Choses qui paraissent pitoyables", on trouve "Une cabane au toit de planches, noire et sale, que la pluie a mouillée". Une évocation sensible et poétique de la misère qui est un fait simple et dur et que l'on cache aujourd'hui sous le voile général et trompeur de l'inégalité. Et pourtant, si l'on a encore une once de capacité à s'émouvoir, ne ressentons-nous pas la même impuissance émue face à un misérable bidonville un jour de mauvais temps qu'il y a mille ans ?
Alors, placez ce petit livre de 74 grammes à votre chevet et, de temps en temps, rendez-vous heureux en en lisant quelques pages qui vous feront sans doute naître un sourire discret et apaiseront vos sens agités à la fin d'une journée difficile. Et complétez au fil du temps les choses de Sei par celles que vous découvrirez. J'y pensais hier quand le soleil brillait sur les choisyas aztec de mon jardin que visitaient des cétoines dorées à la recherche de leur suc en me disant que Sei aurait certainement fait de leur contemplation une "chose qui rend heureux" ! Un livre que je sens aussi proche de nous que les Essais de Montaigne.
Folio (2021), 112 pages