Les trafiquants d'éternité (1)
L'auteur, historienne et romancière, nous offre ici un magnifique voyage dans cette Italie du Nord du 15e siècle, pleine d'une effervescence souvent violente, mais qui nous a laissé ces chefs-d'œuvre que nous considérons encore comme fondateurs de l'Europe qui émerge à la Renaissance. Leurs incubateurs sont les cours princières de l'Italie morcelée, aux frontières évolutives, mais rivalisant de splendeur dans tous les domaines des arts. Les mœurs qu'on y croise sont dominées par l'argent, le pouvoir et la jouissance, à l'abri d'une Église qui a perdu ses repères, mais s'efforce de maintenir sa puissance matérielle et ses territoires. Un roman historique qui se lit d'une traite.
C'est l'histoire de son lointain aïeul que nous raconte ici l'auteur, le destin chahuté d'Alessandro Farnese dont elle fait le fil conducteur de l'intrigue. Ce jeune aristocrate provincial peu fortuné va gravir avec succès les échelons de pouvoir de l'Église pour parvenir au sommet de sa hiérarchie sous le nom de Paul III. Cette ascension est jalonnée de revers et de succès dans une communauté ecclésiastique alors sous la coupe des Borgia, du pape Alexandre VI et de ses terribles enfants, César et Lucrèce. Mœurs sexuelles débridées (la sœur d'Alessandro est la maîtresse du pape et Lucrèce, celle de son frère, par exemple), accumulation des fonctions ecclésiastiques pour leurs revenus, mises au pas des importuns par le meurtre, voici quelques éléments du paysage dans lequel Alessandro réussira à conserver l'essentiel de sa dignité dans un parcours délicat et souvent rocambolesque.
Obligé de s'éloigner de Rome pour sauver sa vie, il se réfugie à Florence. Cela nous vaut quelques moments passionnants sur Laurent de Médicis, sa cour et sa ville. Le roman imagine quelques rencontres entre Alessandro et Laurent qui nous donnent l'occasion d'approcher cette tension vers l'humain et vers le beau, tensions qui ont structuré à Florence l'esprit de la Renaissance. Ce qui n'interdit pas l'avidité des hommes ni leur violence dans l'action. Relisons Machiavel !
L'ascension d'Alessandro ne doit d'ailleurs rien au hasard. C'est la constitution par lui de clans qui le soutiennent, de charges rémunératrices qui lui donnent les moyens de ses actes et de sa prestance, de négociations dures, de replis tactiques qui en seront le moteur. Et la finalité n'est pas simplement la papauté, mais aussi la constitution parallèle d'un patrimoine qui restera dans la famille Farnese. Notre futur pape va d'ailleurs se hâter d'engendrer les héritiers de ses terres et de ses places fortes. C'était ainsi... Ce roman, tome 1 d'une trilogie à venir, le quitte bien ancré dans ses premiers vrais succès à la mort du pape Borgia, d'une partie de sa famille et de ses sbires.
Jamais ce roman n'ennuie le lecteur, en dépit de sa taille, même si certaines intrigues sont, parfois, difficiles à suivre. L'intimité de l'auteur avec son sujet autant que sa qualité laissent penser que tout ce que rapporte sa plume est une image raisonnable de la vérité historique telle qu'il nous est permis de la connaître. Un très beau livre, dont la suite est attendue !
Gallimard (2013), 511 pages