La dernière théorie de Stephen Hawking
 
Le titre en dit bien moins que ce que contient ce remarquable livre. Car c'est toute l'histoire, y compris la plus récente, de notre compréhension cosmologique qui nous est proposée ici. Le livre se termine d'ailleurs sur les propositions théoriques de Stephen Hawking (SH) et de l'auteur. Propositions qui ouvrent de nouvelles façons d'aborder notre représentation conceptuelle et mathématique de l'univers, où, entre autres, le temps perd son rôle physique traditionnel.
Le livre est aussi un hommage émouvant rendu par l'auteur à son maître, avec qui il a partagé une vingtaine d'années de recherche et dont il est devenu l'ami le plus proche.
Un document qui nécessite pour être lu beaucoup d'attention, une curiosité solide et une capacité d'abstraction raisonnable.
 
Un livre clair
 
Je voudrais d'abord insister sur la clarté du texte, sur ce sujet difficile, car fort abstrait. Pour réussir cela, il fallait que l'auteur ait une parfaite connaissance, profonde, intime, du sujet abordé. Il rend ainsi accessible ce qu'il expose, certes à un niveau superficiel, mais permettant de comprendre sans formalisme mathématique les enjeux des théories exposées. Une réelle prouesse !
 
Associer Relativité Générale et Quantique
 
Il s'agit en effet de sortir de l'impasse théorique actuelle où la relativité générale (RG) cesse d'être utile, à savoir au point appelé "Big Bang" à la naissance de l'univers et dans les trous noirs qui sont chacun des singularités pour elle que son formalisme ne sait pas traiter. C'est alors la vision quantique qui va venir s'appliquer dans ces situations extrêmes pour permettre l'émergence d'une théorie "descendante" (par rapport au temps) proposée par SH et l'auteur. Cette vision quantique va d'ailleurs former un couple indissociable avec la RG, même en dehors de ces singularités, ouvrant la voie à une approche où l'aléatoire, intrinsèque au quantique, s'inscrit à part entière dans la totalité de la nouvelle description proposée. Cela a des conséquences :
 
D'une part, l'évolution de l'univers cesse d'être un déroulement causal, qui aurait pu être déduit de la connaissance d'un point de départ et des lois physiques. Il devient quelque chose qui ressemble à l'évolution darwinienne, où se crée peu à peu la réalité au milieu de mille autres chemins possibles, éliminés par des événements physiques successifs qui (cela est propre au quantique) vont sélectionner ainsi des chemins réels qui constituent le passé que nous observons.
 
D'autre part, ces événements sont une sorte de questionnement, d'observation physique qui, dans le quantique, est indispensable pour faire naître la réalité des possibles. Ainsi, cette vision ramène l'humain, comme tout ce qui appartient à l'univers en question, à être non plus un observateur externe, mais une partie prenante de l'action, mettant ainsi un terme à l'illusion d'un expérimentateur extérieur à ce qu'il observe, attitude générale de la recherche qualifiée d'objective qui domine encore les pratiques de raisonnement actuelles.
 
De même, les lois physiques que le monde objectif suppose immuables cessent de l'être au cours de l'évolution ainsi décrite. Elles apparaissent au cours de l'évolution comme des ruptures de symétrie successives qui limitent les possibilités et les encadrent. Les lois actuelles en sont l'histoire. Elles auraient pu être autres si les événements qui ont construit l'évolution avaient été différents.
 
Enfin, pour revenir au titre, le temps perd son prestige et, dans cette vision, cesse d'être une variable externe nécessaire. Voilà qui reste bien difficile à conceptualiser, même si cela peut paraître évident mathématiquement à ceux qui maîtrisent cet outil.
 
Le formalisme mathématique n'est pas abordé ici
 
À ce sujet, d'ailleurs, ce qui est ici présenté sans mathématiques dans le livre est en fait le résultat d'un intense travail des chercheurs spécialistes de cette discipline qui ont donné une traduction mathématique formelle à des propos qui paraissent qualitatifs. Pour autant, cela n'entraine pas la pertinence de cette théorie, comme le rappelle l'auteur. Pour qu'elle le devienne, elle doit faire des prévisions spécifiques que l'expérimentation vérifiera. Ce travail est encours, comme il l'est également sur d'autres théories. On conçoit aisément la difficulté de l'enjeu et les délais auxquels il faut s'attendre pour qu'un faisceau de résultats de confirmation positifs, sans résultats négatifs, confirme la vision de SH.
 
Un livre moins difficile à lire qu'on aurait pu le craindre, bien écrit et illustré, qu'il convient de saluer pour sa contribution au partage de l'esprit scientifique et du travail qui se fait dans un monde où l'ignorance est parfois considérée comme une vertu.
 
Odile Jacob (2023), 432 pages