On ne peut qu'aimer ce roman ébouriffé en dépit de son étrangeté, de son style haché et de son écriture allégorique, souvent trouble. Il touche, en effet, des questions qui nous concernent tous, comme la clarté des jeux politiques, le racisme souterrain qui mine les relations humaines, le rapport au travail et la relation de l'homme au progrès.  Tout cela sans excès d'émotion, mais avec un grand talent.
 
Et pourtant, le choix décalé des circonstances concrètes qui supportent ce récit est un challenge ! La circulation verticale est devenue une valeur structurante de l'univers du roman, intellectuelle, philosophique et universitaire dans ce drôle de New York. Le progrès des ascenseurs est devenu le progrès tout court ! Et certains réparateurs d'ascenseurs fondent leur diagnostic (infaillible !) sur l'intuition et non l'observation. Il faut un peu s'accrocher pour s'en convaincre et accepter que se déroule une affaire, somme toute, banale, dans ce présupposé.
 
Cela n'empêche pas la vie des individus de s'y trouver confrontée aux mêmes problèmes et aux mêmes désirs que dans la société où nous vivons, ici et maintenant. Je me suis d'ailleurs livré à une expérience de pensée où je plaçais la même intrigue dans un monde normal, ce qui m'a laissé penser qu'à quelques modifications près, le roman aurait aussi bien fonctionné.
 
Alors, si les ascenseurs vous intriguent et même si vous n'avez pas lu "Ascenseurs théoriques" ou n'avez pas fréquenté "l'Université du déplacement vertical", ne manquez pas ce roman brillant qui, au fond, parle avec talent de bien autre chose.
 
Albin Michel (1999), 367 pages