Une femme, exilée de Macédoine (du Nord !), va parcourir son pays et son histoire personnelle pour essayer de comprendre  le nid de vipères que sont les "Balkans". Son intelligence, son éducation et sa sensibilité vont faire merveille et peut-être sortirons-nous un peu moins naïfs de ce périple presque initiatique. Nous en sortirons en tout cas touchés par les évocations de la beauté des sites traversés, que l'auteur partage magnifiquement avec le lecteur. Un récit profondément original et enrichissant.
 
L'auteur, en effet, constate l'échec flagrant de ces sociétés, incapables de se structurer et où les réflexes claniques face à une histoire sans pitié, souvent violente, ont entraîné des guerres et des destructions continues. L'absence d'États-nations dignes de ce nom, des découpages territoriaux absurdes, des élites maintes fois décimées, une misère rampante, tout cela provoque une résignation sans espoir. Et, bien entendu, un exil qui éloigne ceux qui n'ont pas baissé les bras.
 
Une question, parmi d'autres, me préoccupe. Dans ce contexte foisonnant d'ethnies, de religions, d'empires défunts, de vérités historiques approximatives, y a-t-il place pour des États-nations qui exigent une certaine homogénéité, une certaine identité commune ? N'est-ce pas le terrain favorable à des autocraties qui substituent à cette homogénéité fondatrice des États une allégeance à un chef et à des idées simples et populaires, plus faciles à établir, mais dont on connaît les dérives, comme celles observées en ce moment en Russie, par exemple. L'histoire du patchwork européen en est nourrie.
 
Ces Balkans en échec économique, social, technique, ne sont-ils pas aussi l'image de ces peuples qui compensent sous nos yeux cette absence de participation au monde en évolution par un refuge dans des illusions religieuses, ethniques et une histoire fantasmée ? La guerre que fait la Russie n'est-elle pas une tentative de détourner la rancœur de son échec sur pratiquement tous les autres plans ?
 
Ce récit, outre l'occasion qu'il provoque de se poser quelques questions sur les concepts d'identité, de frontières, de solidarité, voire de raisons de vivre ensemble, est avant tout un merveilleux voyage dans des lieux peu connus au cœur d'une nature que l'auteur, si sensible à cela, décrit magnifiquement. Pourquoi n'irions-nous pas un jour découvrir ces lacs dont l'écho nous a émus et nous apprend tant sur ce que nous sommes aussi ?
 
J'ai Lu (2024), 608 pages