Ce roman, plutôt sombre, porte néanmoins en lui une chaleur et une humanité exceptionnelles. Écrit par un Coréen du Sud, sa portée est cependant universelle. Miracle de la bonne littérature qui transcende les cultures pour atteindre les constantes de notre espèce, quelles que soient les sous-couches religieuses ou culturelles dont nous nous parons. Nous découvrirons ici un homme qui a pu et su s'extraire vers le haut de son milieu, mais qui va constater combien le bilan de son existence est entaché de questions et de regrets liés à son évolution sociale. Ce roman contemporain, qui parle avec simplicité de la vraie vie, nous touche et parfois nous émeut.
La Corée du Sud est pour moi une immense réussite économique qui mérite notre respect. Après la guerre, son état était désespéré. Déchirée entre le Nord (l'ancienne partie riche) et le Sud, dévastée, elle était en survie. Elle sera dirigée par des hommes visionnaires, qui canaliseront l'investissement vers des industries d'avenir, si bien que sa richesse par habitant dépasse aujourd'hui celle de la France. Cette mutation à marche forcée ne s'est pas faite sans casse. La conversion vers une société moderne a laissé sur le pavé ceux qui ne pouvaient pas suivre, d'une manière encore plus brutale que dans nos contrées. Ce roman est un pont entre ceux qui ont raté leur vie et ceux qui ont réussi ascension sociale.
Un homme d'origine très modeste, qui a réussi à devenir un architecte reconnu, se retrouve plutôt seul et, par un concours de circonstances, reprend contact avec ceux et celles qui ont accompagné sa jeunesse et son éveil à la vie. Ceux-ci restent embourbés dans une existence qui frôle parfois la survie, vivant comme ils peuvent, mais toujours mal, sans ressource ni réserve face aux coups du sort. Et pourtant la nostalgie de ce monde simple, mais authentique va s'installer chez lui, qui souffre, dans son univers de la promotion immobilière, d'une certaine honte de ses comportements superficiels, parfois prédateurs et souvent inhumains. La valeur du roman est là, dans ces petits pas, à gauche, à droite, à la frontière de ces deux univers sociaux qui, sans l'origine modeste de cet homme, seraient restés imperméables l'un à l'autre. Peut-être pose -t-il en même temps la question qui taraude notre époque : la marche vers le confort, l'éducation, la santé et tous les biens associés à l'enrichissement est-elle inéluctablement associée à une fracture entre ceux qui réussissent et les autres ?
Ce roman nous touche en ce qu'il aborde par le cœur un problème que la raison perçoit, mais semble incapable de traiter. Il le fait dans un langage simple, juste et appuyé sur une excellente traduction, qui facilite notre adhésion. Une vraie réussite.
Philippe Picquier (2015), 169 pages