Ce livre, d'un accès assez simple, propose une synthèse de l'évolution philosophique qu'a entraînée la Renaissance. On constatera qu'il s'agit en fait d'une rupture entre l'ancien dogme de l'immobilité d'un univers créé et la constante évolution qui caractérise l'univers postrenaissance. Et, peut-être même surtout, convient-il de constater le rôle que l'homme joue désormais par son action dans cette évolution et son histoire, au détriment d'une toute-puissance divine qui rétrécit en conséquence.
 
Notons au passage que l'auteur (1885-1977) fut un zélateur de la pensée marxiste, ce qui l'amène, dans cette réflexion, particulièrement sur les sujets sociaux et politiques, à une tendance à placer la Renaissance dans le droit fil conduisant au marxisme. Cela ôte un peu de pertinence à certaines analyses dans ces domaines sans pour autant invalider le reste. Il semble bon d'en être conscient.
 
Le reste, c'est cette large vision qu'il apporte des bouleversements de pensée de l'époque. Partir d'un univers créé, immobile, intouchable où toute action exprime une volonté transcendante pour passer à une conception qui donne à l'homme une chance d'agir par ses actes sur le monde en même temps que la responsabilité de l'évolution est en effet un séisme de la pensée. Séisme qui s'est progressivement traduit en textes de penseurs que l'auteur résume et compare. Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Giordano Bruno, Paracelse, Bacon et autres, sont les acteurs de cette évolution de la pensée dont l'imprimerie permettra ultérieurement la diffusion.
 
Ceux que cette voie de l'action a séduits ont alors un devoir. Si l'homme veut agir efficacement sur la nature, il lui faut connaître autant lui-même que cette nature. C'est bien ce que l'homme de la Renaissance a fait. Il va d'abord redécouvrir l'histoire et les textes des anciens, non dans leurs spéculations transcendantes, mais dans leur expérience du réel et dans la relation de leurs actes. C'est justement ce que les mondes grecs et romains offraient. Il lui faut ensuite tenter de comprendre les mécanismes naturels pour mieux agir et c'est ainsi que naîtra ce qui, peu à peu, deviendra la méthode scientifique. Ce livre passe remarquablement tout cela en revue.
 
Je souhaiterais ici proposer une idée qui contribue à comprendre pourquoi une telle transformation du rapport au monde a eu lieu et pourquoi à ce moment-là. Il me semble que le monde a vraiment changé lors de l'optimum climatique du moyen-âge quand les récoltes ont crû considérablement avec la même quantité de travail, donnant temps libre pour agir et richesse. Les cathédrales que nous admirons en sont le fruit, par exemple. Que cela ait été possible a sans doute profondément marqué les consciences et, après les temps sombres du 14e siècle, pourrait avoir incité l'homme à retrouver les voies de ce temps d'abondance récent ?
 
Ce livre offre une belle occasion de réfléchir à cette époque de rupture que fut la Renaissance, dont les nouveaux principes de compréhension et d'action sur le monde sont posés. Ils donneront les fruits que nous connaissons, dont certains sont empoisonnés. Mais n'y a-t-il pas de preuve plus grande de la dignité de l'homme que le chemin, même modeste, qu'il a accompli dans la connaissance du monde où il est ? C'est dans la pensée de cette époque qu'en est né le germe.
 
Payot (1972), 224 pages